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«Que veut vraiment faire le gouvernement avec la SNCF ?»

CHRISTIAN HARTMANN/REUTERS

FIGAROVOX/TRIBUNE - Pensée dès les années 90, accélérée soudainement par le gouvernement, la « réforme » de la SNCF imposée par la Commission européenne pourrait conduire selon Ludovic Greiling à une dépossession des riches actifs du système ferroviaire français.


Ludovic Greiling est journaliste économique.


Quinze ans qu'ils attendaient ça. Quinze ans qu'ils lorgnaient sur le meilleur réseau ferré d'Europe. Les lobbyistes industriels et financiers installés à Bruxelles espéraient une ouverture du marché français des services ferroviaires, dont les lignes à très haute vitesse et l'intense maillage régional ont toujours suscité des envies. En Allemagne, le transport des passagers a été «libéralisé» au milieu des années 2000. Pourquoi pas en France? Tout vient à temps… Pas un hasard si la Deutsche Bahn, comme l'ensemble des mastodontes du continent et d'ailleurs, sont très présents auprès de l'exécutif de l'Union ; l'opérateur allemand y dépêche 4 lobbyistes à temps plein. Inscrit officiellement comme lobby depuis 2008, la Deutsche Bahn a rencontré 16 fois la Commission européenne cette année, soit autant que la SNCF qui, elle, se retrouve au centre de l'agenda européen. Le groupe allemand n'est pas le seul en piste: d'autres acteurs français ou étrangers, souvent détenus par des fonds de placement financiers, espèrent obtenir une part du gâteau.

Moins de gares, moins de rails

Leur but? Il est affiché dans le rapport Spinetta remis au Premier ministre en février dernier. «Une ouverture à la concurrence réussie suppose le redéploiement du transport ferroviaire sur son domaine de pertinence, pour mieux répondre aux besoins et réaliser un saut majeur de productivité». Pour ce faire, le rapport appelle à fermer les «lignes de desserte fine» (soit les petites lignes). Il préconise aussi une forte réduction du nombre de gares desservies par les trains à grande vitesse, pour recentrer les efforts sur les grandes métropoles. La finalité probable est donc l'utilisation des lignes les plus rentables, au détriment du reste du système ferroviaire. «Les enjeux actuels n'ont rien à voir avec le statut des cheminots sur lequel le gouvernement focalise l'attention. Ils concernent la mobilité de territoires ruraux entiers, le mode de transport et l'écologie», s'est confié non sans énervement un important responsable syndical.

Les contribuables français n'ont pas fini de payer pour leurs rails.

Ladite mise en concurrence dans un marché ferroviaire très gourmand en capitaux améliorera-t-elle le transport? La Commission européenne, et le gouvernement français, répondent par l'affirmative. Les faits, eux, sont plus nuancés. C'est que l'ouverture du marché français a déjà été pratiquée il y a plus de 10 ans dans le transport de marchandises, et les résultats sont pour le moins mitigés. Ainsi, le total du transport de fret par rail est aujourd'hui inférieur en tonnes à ce qu'il était en 2006, en dépit d'une hausse du PIB en volume de 6 % sur la même période. Autre argument avancé en filigrane par le gouvernement de tutelle de la SNCF: l'allégement de la dépense publique. Là aussi, la réalité est assez complexe. Il y a deux ans, les principaux concurrents de la SNCF dans le fret ont appelé l'État à l'aide, lui demandant d'améliorer le réseau et d'en revoir l'organisation. Certains d'entre eux n'hésitent pas à fermer leurs lignes déficitaires et celles qu'ils considèrent comme non stratégiques. Si la puissance publique écoute les demandes, elle devra réinvestir dans le réseau. De l'argent public financera donc des transports privés. Les contribuables français n'ont pas fini de payer pour leurs rails. Mais pour quel service?

Un «superbe outil» qui aiguise les appétits

Ces questions sans réponse n'empêchent pas le gouvernement de mettre en œuvre le quatrième paquet ferroviaire européen à la vitesse d'un TGV. Alors, chez les cadres et les syndicats de la SCNF, «on ne comprend pas». On ne comprend pas pourquoi le gouvernement a accéléré soudainement la mise en place des directives de la Commission, alors qu'aucun ministre n'avait évoqué le sujet en 2017, pas davantage durant les récentes Assises de la mobilité. On ne comprend pas la note interne récemment envoyée par le président Guillaume Pépy, qui appelle à une nouvelle organisation de l'entreprise alors même que le groupe de 160 000 salariés n'a pas terminé une vaste et coûteuse réorganisation entamée en 2014. On ne comprend pas pourquoi le gouvernement n'autorise pas la SNCF à développer les autoroutes du rail, alors qu'elle possède depuis longtemps la technologie pour le faire. «Nous avons les boules… Il faut être dans notre entreprise pour comprendre: nous possédons un superbe outil, on nous reconnaît le meilleur maillage européen, et on souhaite le détruire» nous a confiés un haut cadre du géant ferroviaire.

On ne comprend pas pourquoi le gouvernement a accéléré soudainement la mise en place des directives, alors qu'aucun ministre n'avait évoqué le sujet en 2017.

On ne comprend pas, à moins que… À moins que la Commission européenne ait prévu de compartimenter les différents actifs de la SNCF pour démanteler un mastodonte national, comme elle l'a fait naguère pour des entreprises comme Alstom ou France Télécom. À moins que des intérêts infiniment puissants cherchent à tirer profit de ces actifs financés à 100 % par les contribuables. C'est l'avis d'un haut fonctionnaire français familier des arcanes européens: «La SNCF, comme EDF et d'autres entreprises nationales, sont dans le collimateur depuis longtemps. Le même raisonnement est à l'œuvre depuis la mise en place du Marché Unique européen en 1986: la déconstruction du marché national et conséquemment du service public».

Vous avez dit déconstruction? En 2014, la SNCF est contrainte de se diviser en 3 entités juridiques distinctes: la filière des services supports, la filière des trains et la filière des rails. Un gros travail est alors entamé en interne pour revoir les responsabilités respectives et les différents accords d'entreprise, il n'est pas encore terminé. En 2018, le gouvernement annonce la transformation prochaine du groupe en société par actions (de forme société anonyme). Enfin, durant la présidence de Guillaume Pépy, la direction de la SNCF a créé une multitude de filiales. Elle en possède aujourd'hui près de 1000, autant de structures qui pourraient un jour être vendues. Parmi elles, les très peu écologiques mais très rentables transports par camions, qui ont été étrangement développés par la présidence ces dernières années au détriment du fret ferroviaire.

La Commission européenne au centre du jeu

Plus étonnant: alors même que le gouvernement accélère la mise en œuvre des directives de la Commission, il n'a pas pensé à donner des indications datées et chiffrées concernant la reprise de la dette ferroviaire par l'État, ce qui confirme une certaine précipitation. En Angleterre ou en Allemagne, souvent cités en exemple, la reprise de cette dette par la puissance publique pour en décharger les futurs acteurs privés avait constitué un préalable à toute libéralisation du secteur. Une SNCF transformée en société anonyme et largement endettée aurait du mal à résister à la concurrence, et ses actifs pourraient être rapidement cédés. «Tout ceci ne m'étonne pas, c'est dans la logique de ce qui a été mis en place ces trente dernières années, souffle notre haut fonctionnaire. D'une part, il existe de gros mastodontes financiers qui veulent prendre la place des États. D'autre part, il y a un exécutif européen qui cherche à démanteler les Émanations actuels, en particulier le nôtre. Ces intérêts travaillent de concert».

Dans les années 90 déjà, certains documents de travail préparés à Bruxelles annonçaient la «réforme» en cours du système ferroviaire français. Celle-ci va-t-elle améliorer les services de train? Permettra-t-elle une baisse des prix? Peut-être. Ou peut-être pas. Les desseins de la Commission européenne sont ailleurs.

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