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Varias

Matérialité de l’espace urbain et égalité des sexes

Mesures et enjeux de l’odonymie bruxelloise
Urban space materiality and gender equality: measurement and challenges of Brussels’ street names
Nouria Ouali et Pierre Lannoy
p. 157-179

Résumés

L’article propose un examen genré de l’odonymie de Bruxelles, capitale de l’Europe, et une analyse des contraintes et enjeux qui caractérisent les diverses entreprises de visibilisation des femmes dans la matérialité de l’espace urbain bruxellois. Après un relevé systématique des noms de rues et des caractéristiques des figures féminines mises en valeur qui révèle un déséquilibre abyssal entre les noms féminins et masculins des rues de Bruxelles, l’article analyse les pratiques et les stratégies d’élu∙e∙s à l’échelle politique locale pour féminiser les noms de rue et rendre justice à la mémoire des femmes. Il dévoile, d’une part, les contraintes liées à la législation et à la morphologie urbaine pour accroître le nombre de noms féminins et, d’autre part, l’action des élu.e.s et l’influence des organisations féministes qui luttent contre l’invisibilité des groupes sociaux dominés dans l’espace urbain.

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Texte intégral

Introduction

1S’il y a un domaine emblématique des silences de l’histoire sur les femmes (Perrot, 1998), c’est bien la toponymie des espaces urbains. En dépit de la sortie des femmes de ce silence, avertit Michelle Perrot, d’énormes carences mémorielles demeurent :

« En ce qui concerne le passé, [il subsiste] un océan de silence, lié au par­tage inégal des traces, de la mémoire et, plus encore, de l’Histoire, ce récit qui, si longtemps, a « oublié » les femmes, comme si, vouées à l’obscurité de la reproduction, inénarrable, elles étaient hors du temps, du moins hors événement. » (Perrot, 1998, p. I)

2Ce constat implacable s’illustre de manière saisissante dans l’odonymie des villes, c’est-à-dire dans l’ensemble des noms qui y désignent une voie de communication tels une rue, une place, un chemin, etc. La dénomination des voiries est une pratique qui s’est formalisée puis imposée aux pouvoirs locaux à partir du XVIIe siècle (Badariotti, 2002) pour orienter et structurer l’espace urbain, mais aussi pour entretenir la mémoire et valoriser les personnes que les édiles communaux jugeaient dignes d’un hommage public (Bourillon, 2012). L’octroi aux voiries d’un nom propre (qui constitue l’une des modalités possibles de leur identification, à côté notamment de l’attri­bution d’un nom commun ou d’un numéro) est donc loin de constituer un acte banal et neutre : cette inscription dans la mémoire collective est à la fois éminemment politique, genrée et socialement située, et se révèle, notam­ment, à travers les résistances et les tensions qu’elle soulève dans les ins­tances municipales lorsqu’il s’agit de féminiser les noms de rue.

3La toponymie de l’espace urbain est un indicateur, à la fois, de l’état de la mémoire collective à différentes époques (Bouvier et Guillon, 2005 ; Bouvier, 2007 ; Steffens, 2007 ; Chevalier et Herzog, 2018), des mentalités et des représentations des rôles féminins et masculins dans la société. Histo­ri­quement, l’espace public, dont les femmes ont été exclues depuis la Révo­lu­tion française (Fraisse, 2000), consacre les hommes tant dans sa matérialité (rues, statues, bâtiments, stations de transports publics) que dans sa gouver­nance et ses structures de gestion (politique, métiers de l’urbain). Les fem­mes, confinées dans l’espace privé et le rôle de reproduction, ont été privées de leur citoyenneté et d’une multitude d’activités économiques et de métiers « naturellement » dévolus aux hommes (Collectif, 2000 ; Perrot, 2002).

  • 1 Les travaux innovateurs et critiques des féministes sur l’analyse genrée de l’espace urbain ne sont (...)
  • 2 Comme l’indique le relevé par nationalités/origines/sexualité et genre établi par la collective bru (...)
  • 3 Le site Mapbox cartographie le sexisme des villes sur base des données d’OpenStreetMap. En moyenne, (...)

4Cette conception des rôles sociaux et de la ségrégation des espaces1 a laissé des traces qui se matérialisent dans le déséquilibre abyssal entre les odo­nymes féminins et masculins des villes contemporaines. Ainsi, Pierre Dejemeppe (2017) reconnaît cette disproportion dans la commune bruxel­loise de Saint-Gilles et, en guise de « consolation », argue de « la qualité exceptionnelle » des trois femmes honorées « à défaut de quantité » ; noms, ajoute-t-il, majoritairement attribués avant la Première Guerre mondiale, soit avant la période d’émancipation des femmes et leur accès à la vie politique en Belgique. Cette inégalité qui frappe également les figures issues des classes populaires (Veschambre, 2014 ; Zanetti, 2018) ou des minorités racisées et sexuelles2, est observée dans diverses grandes métropoles de la planète3 et suscite une mobilisation croissante d’organisations féministes qui y voient un des terrains d’expression des rapports sociaux de domination et de lutte politique pour l’égalité des sexes.

5Notre intérêt pour le terrain étudié fut suscité par les actions de désobéis­sance civile de l’association Noms Peut-Être !, publicisées chaque 8 mars dans la presse depuis 2017 (voir la section S’allier aux organisations fémi­nistes), qui dénoncent l’invisibilité des femmes dans la ville et, singu­liè­re­ment, dans les odonymes urbains, et, d’un autre côté, par le constat de l’absence presque totale d’enquêtes sur le sujet tant dans le domaine des études de genre en sociologie que dans celui des recherches portant sur Bruxelles.

6La féminisation de l’odonymie urbaine est envisagée ici comme une des stratégies de visibilisation des femmes dans la ville. Celles-ci consistent, notamment, dans des actions d’occupation de cafés ou de quartiers (marches de nuit non mixtes), des manifestations publiques pour réclamer des droits (journée internationale des femmes, marche mondiale des femmes), la publi­ci­sation d’un problème (violence, harcèlement), des manifestations festives (Gay Pride), ou encore le changement des signalétiques urbaines (des toilettes, parkings, feux de signalisation, etc.).

7L’article propose de mesurer la place des femmes dans l’odonymie bruxel­loise et d’identifier les contraintes et les enjeux qui caractérisent les démar­ches politiques entreprises pour accroître la visibilité des femmes dans la matérialité de l’espace public de la capitale belge. Il soulève ainsi des ques­tions majeures sur le lien entre les femmes et la ville : quelles empreintes l’absence historique des femmes de la sphère politique, notamment locale, et l’hégémonie masculine séculaire ont-elles laissé sur les odonymes bruxel­lois ? La réglementation et les pratiques dans l’espace politique contem­porain sont-elles encore des lieux de résistance à leur féminisation ? Quelles stratégies les tenant∙e∙s de l’égalité des sexes déploient-il∙le∙s pour lutter contre l’invisibilité des femmes dans l’espace urbain ?

8L’étude, de portée strictement monographique, repose sur deux approches : quantitative, d’une part, avec le relevé systématique des noms de rues (voir encadré 1) qui mesure la part des noms féminins et masculins dans les 5 410 rues de la Région de Bruxelles-Capitale (ci-après RBC) ; qualitative, d’autre part, avec la réalisation d’entretiens semi-directifs sur les pratiques et les stra­­tégies politiques locales d’élu∙e∙s en matière de féminisation des noms de rue.

9Encadré 1 – Méthodologie et contexte

10L’enquête a été réalisée entre février et avril 2020 par les auteur∙e∙s et leurs étudiant∙e∙s de l’Université Libre de Bruxelles.

11Le relevé exhaustif des odonymes de la voirie publique de la RBC a été effectué à partir de 4 principaux sites web : www.ebru.be, https://be.brussels/​, www.irismonument.be, www.openstreetmap.org et des sites des 19 communes bruxelloises. Ces données ont été croisées, puis complétées par des observations sur place et différents ouvrages historiques.

  • 4 Les termes voirie, voie ou artère désigneront alternativement ces espaces publics de circu­lation, (...)

12Le relevé porte aussi bien sur les voiries habitées (avenues, boulevards, chaussées, drèves, places, rues, squares) que sur les parcs, tunnels (exclusivement routiers), ronds-points, quais, passages, chemins, venelles et sentiers4. Les dénominations incluent : les noms de personnes physiques dont l’existence est avérée ; les noms de groupes (Touristes, Vieillards, Étudiants), de communautés (franciscaines) ou de métiers (Bouchers, Pilote) ; les prénoms isolés (Paule, Salomé) ou les personnages non identifiables (la Fiancée) ; les figures reli­gieuses, mythologiques ou littéraires (les Bacchantes, La Belle au Bois dormant). Les voiries portant le patronyme d’un couple dont le nom de jeune fille de l’épouse est accolé à celui du nom de l’époux ont été comptabilisées à la fois dans les voiries féminines et masculines (8 voies) dès lors que l’objectif est de mesurer la probabilité de trouver une rue portant un nom féminin ou un nom masculin ; les noms de couples alimentent donc l’un et l’autre de ces ensembles. En revanche, si le patronyme mentionne le seul prénom ou titre de l’épouse (ex. : Square Princesse Jean de Mérode), alors cette voie est comptée uniquement parmi les voiries féminines. On dénombre 11 voiries dont l’assise est répartie sur plusieurs communes que nous avons comptabilisées dans chaque commune où elles apparaissent ; en revanche, elles ne sont comptées qu’une seule fois dans le total régional.

13Ce relevé des odonymes a été complété par des observations in situ examinant la morpholo­gie des voiries et du quartier (commercial, résidentiel, etc.) ainsi que les flux de passages (fréquenté ou pas) et des entretiens qualitatifs d’élu∙e∙s (voir encadré 2).

Les odonymes féminins bruxellois : état des lieux

14La Région de Bruxelles-Capitale (RBC), instituée depuis 1989 comme entité administrative au sein de l’État fédéral belge aux côtés des Régions fla­mande et wallonne, regroupe 19 communes, dont celle de Bruxelles-Ville. Son territoire s’étend sur 161,4 km2 et présente une densité de population de 7 525 hab/km2 pour une population de 1 208 542 habitant.e.s (dont 51 % de femmes et 35 % de résidents étrangers, parmi lesquels 2/3 proviennent de l’UE). Bruxelles est la troisième région en Europe la plus riche en termes de PIB par habitant (65 007 € en 2017) et présente une forte dualisation socio-économique où les communes affichent des indices de richesse très variables s’étalant entre 51 et 111 (soit 11 points de plus que la moyenne belge).

Tableau 1 – Les communes de la RBC classées selon la proportion des odonymes féminins

1. Commune

2. Nombre total de voiries

3. Odonymes féminins (nombre absolu)

4. Odonymes féminins (portion communale) [3/2]

5. Odonymes humains (féminins + masculins – nombre absolu)

Bruxelles-Ville

730

51

0,070

320

Forest

195

13

0,067

98

Jette

195

12

0,062

158

Woluwe-St-Lambert

269

14

0,052

120

Uccle

465

21

0,052

120

Ganshoren

118

6

0,051

71

Bruxelles (Laeken-NHO-Haeren)

367

17

0,046

148

Ixelles

324

14

0,043

172

Koekelberg

71

3

0,042

43

Molenbeek

288

12

0,042

152

Watermael

255

10

0,039

53

Woluwe-St-Pierre

305

11

0,036

148

Berchem-Ste-Agathe

112

4

0,036

37

Saint-Gilles

158

4

0,025

82

Etterbeek

201

5

0,025

135

Auderghem

246

6

0,024

157

Anderlecht

487

10

0,021

219

Schaerbeek

339

6

0,018

256

Saint-Josse

119

2

0,017

55

Evere

166

2

0,012

80

Totaux

5 410

226

0,042

2 734

Lecture du tableau : la colonne 4 présente la proportion en ordre décroissant de voiries aux noms de figures féminines recensées sur leur territoire des 19 communes bruxelloises.

Source : recensement des auteur∙e∙s.

15Les communes se distinguent également du point de vue de leur superficie (de 32 km2 pour Bruxelles-Ville à 1,14 km2 pour Saint-Josse), du volume de leur population (de 180 000 pour Bruxelles-Ville à 8 200 pour Evere, en 2019), mais aussi du nombre de voiries sur leur territoire respectif (de 730 à 71). Le tableau 1 fournit le relevé exhaustif des voiries de la RBC tant en chiffres absolus qu’en proportions respectives de voies féminines et mascu­lines.

16Sur le plan linguistique, la RBC est une région bilingue bien que les franco­phones représentent 91,8 % de la population en 2018 : leur pourcentage par communes varie entre un maximum de 95,2 % à Uccle et un minimum de 87,3 % à Berchem-Ste-Agathe. Toutes les plaques de rues sont libellées en français et en néerlandais (pour un exemple, voir l’illustration 1).

17Le résultat du relevé des odonymes des 5 410 voiries de la RBC révèle l’écart colossal existant entre le nombre d’artères portant un nom féminin et masculin : sur les 50 % des voies qui portent le nom d’une personne ou d’un groupe humain, 46 % concernent un homme et 4 % une femme. Les figures féminines sont dix fois moins nombreuses que les figures masculines. Les proportions varient peu d’une commune à l’autre, de 1 % (Evere) et à 7 % (Bruxelles-Ville), la majorité des cas se situant autour de 4 %.

Figure 1 – Nombre de noms de femmes et d’hommes dans les rues des 19 communes de la Région de Bruxelles-Capitale

Figure 1 – Nombre de noms de femmes et d’hommes dans les rues des 19 communes de la Région de Bruxelles-Capitale

18La figure 1 permet de visualiser la répartition du nombre de rues portant des noms de femmes et d’hommes sur le territoire des 19 communes de la RBC et leur importance au regard du nombre de rues portant un nom d’humain.e recensé en 2020.

19En plus du déséquilibre numérique, l’analyse qualitative des caractéristiques du paysage viaire féminin révèle le caractère inégalitaire et minoritaire des femmes dans trois de ses dimensions : le type de voiries attribuées (place, avenue, boulevard), le type de figures honorées (reine, propriétaire, fémi­niste) et le contenu des plaques décrivant le profil de la personne.

Hiérarchisation des voiries

20L’attribution d’un nom de rue inclut une opération qui établit un classement tacite des figures en fonction du type de voirie allouée : plus on monte dans la hiérarchie des espaces viaires, moins on trouve de noms féminins. Raibaud (2015) observait qu’en France, ponts et boulevards honoraient les hommes alors que les femmes héritaient des allées et impasses.

  • 1 Les autres types de voiries recensés sont des allées (9), des drèves (9), des clos (4), des « petit (...)

21À l’échelle de la RBC, 40 % des voiries féminines sont des rues (88), 23 % des avenues (52), 8 % des places et 8 % des squares. On compte 6 parcs (2,7 % des odonymes féminins) et 3 boulevards (1,4 %) mais aucune chaussée1. Cette hiérarchie s’observe également parmi les voiries régionales, axes structurant le territoire bruxellois, puisque 12 portent un nom féminin, contre 181 noms d’hommes, soit un rapport de 1 à 15.

22Les artères féminines traversant plusieurs communes possèdent la carac­téristique commune de porter le nom d’une souveraine. Parmi ces voies, on trouve quelques axes importants avec de larges perspectives visuelles, souvent arborées et traversant un quartier résidentiel. Contrai­rement aux hommes, aucune femme ne semble « mériter » de donner son nom à des voies majeures, excepté les femmes de la famille royale.

23L’Allée Rosa Luxemburg (théoricienne marxiste allemande) et le Square Maurane (chanteuse belge) se singularisent par leur forme en terre-pleins ancrés au milieu de plusieurs voies importantes et qui ont été baptisés récemment (respectivement 2006 et 2019). Ces opéra­tions n’ont donc pas nécessité de modifier les adresses cadastrales et postales des bâtiments bordant ces voies.

Figures honorées

24Parmi les odonymes féminins, trois catégories de personnages donnent leurs noms aux rues, chacune représentant environ 30 %. La première désigne des personnalités civiles : 72 voiries honorent ainsi des femmes de chair et d’os (32 % du total des voiries féminines), auxquelles on peut ajouter des couples où apparaissent les noms des épouses (8), ce qui représente au total 34,2 % de toutes les voies féminines. Uccle est la commune qui compte le plus grand nombre (15) d’individualités honorées, en ce comprise une souveraine (Av. de la Princesse Paola). Quatre communes présentent un nombre moyen de noms propres féminins : Anderlecht (9), Ixelles (9), Jette (8) et Bruxelles-Ville (8). Les autres communes n’affichent que de 2 à 4 noms propres de femmes.

25La deuxième catégorie comprend les noms de souveraines dont 65 voiries sont porteuses (soit 29,3 % des voiries féminines), parmi lesquelles une seule porte le nom d’un couple de souverains. Les têtes régnantes apparaissent donc de manière individualisée. Soulignons que plusieurs noms (Louise, Élisabeth) sont utilisés plus d’une fois pour désigner des voiries distinctes (avenue, rue, parc) ou la voirie qu’ils désignent traversent plusieurs communes. Par ailleurs, cette catégorie comprend à la fois des noms propres et des noms géné­ri­ques (la Princesse, la Reine). Au total, pour 65 voiries portant un nom de souveraine, on dénombre 35 dénominations différentes, dont 15 portent un nom générique (de la Reine, de la Duchesse, de l’Infante, de l’Impératrice ou Souveraine).

26Un troisième ensemble contient les voiries féminines portant des noms liés à la religion (exclusivement catholique). On en dénombre 49 (soit 22 % du total des voiries féminines), parmi lesquelles 33 désignent des personnes (saintes) et 16 des congrégations ecclésiastiques. Si on ajoute à cette caté­gorie les voies portant le nom d’une figure mythologique (23, soit 10 % des rues féminines) aux qualités également « supra-humaines », ce groupe représente 32 % des artères féminines.

27Ainsi, les odonymes bruxellois charrient trois principales représentations des femmes : la souveraine, la figure religieuse ou surnaturelle et la personnalité individuelle. Notons l’absence étonnante de voiries portant un nom de métier pratiqué par des femmes déjà mis en relief par Éliane Gubin (2006). Dans son relevé des noms de rue réalisé dans la ville de Marseille, Éliane Richard (2001) établit un constat identique quant à la surreprésentation des figures de souveraine et de religieuse, et à l’invisibilité des métiers féminins. La seule activité s’apparentant au travail est celle des assembleuses de fleurs (Impasse de la Bouquetière à Bruxelles-Ville) baptisée de la sorte en 1853, mais désormais inaccessible au public. L’odonymie bruxelloise ignore donc totale­ment la femme en tant que travailleuse ou figure d’une profession : Bruxelles n’aurait-elle donc jamais connu ni lavandière, ni couturière, ni servante, ni sage-femme, ni commerçante… ?

28Enfin, parmi les 79 femmes donnant leur nom à une voirie, 8 d’entre elles ont été très récemment honorées en leur qualité de féministes. Ce nombre sera amené à croître dans les limites très ténues au regard des contraintes existantes.

Des plaques massivement muettes

29La réglementation sur les plaques permet d’ajouter sous le nom un bref commentaire de maximum 200 caractères, mais la grande majorité des plaques de noms féminins ne fournissent aucune indication sur les person­nages éponymes. Anderlecht est la seule commune où toutes les plaques de rues aux noms féminins fournissent une information biographique sur les personnes honorées (dates de naissance et de décès, et motif de la mise à l’honneur), à l’exception étonnante de la rue Marie Curie. De son côté, la commune d’Uccle a installé systématiquement des plaques donnant les noms et biographies des personnalités féminines (toutes des artistes) pour les allées d’un parc public, mais les autres voiries de la commune ne mentionnent aucune information sur les femmes éponymes. Enfin soulignons la plaque particulièrement loquace de l’Allée Rosa Luxemburg à Bruxelles-Ville, qui comprend une biographie bilingue de treize lignes (illustration 1).

Illustration 1 – Plaques de l’Allée Rosa Luxemburg (Bruxelles-Ville, 2020)

Illustration 1 – Plaques de l’Allée Rosa Luxemburg (Bruxelles-Ville, 2020)

©les auteur∙e∙s, 2020.

30Excepté ces trois cas, les plaques de voiries en RBC ne permettent pas aux passant∙e∙s de découvrir les profils des personnalités honorées.

La procédure légale d’attribution des odonymes à Bruxelles

  • 1 En Belgique, elle est plus contraignante par exemple qu’en France où le Conseil municipal et le/la (...)

31Avant d’aborder les pratiques des élu∙e∙s en matière d’attribution des odo­nymes, examinons la procédure communale d’octroi du nom de rue définie légalement qui, selon les pays1, est régulée par différents textes et organes chargés d’approuver l’odonyme. En Belgique, plusieurs circulaires ministé­rielles et décrets organisent la matière et les communes ont l’obligation d’obtenir l’approbation de la Commission royale de toponymie et de dialec­tologie (ci-après CRTD) dont nous examinerons la composition.

32La réglementation indique que tout changement de noms ne peut s’effectuer « sans raison sérieuse » et doit respecter quelques principes de base : la consultation obligatoire des habitant∙e∙s du lieu (sauf en cas d’homonymie), la priorité accordée à l’histoire, la toponymie ou le folklore local ; l’interdiction d’honorer des personnes vivantes (sauf pour les chefs d’État) et les défunt∙e∙s doivent l’être depuis plus de cinquante ans. Toute procédure doit faire l’objet d’un dossier argumenté et documenté par une cartographie et la biographie des personnes choisies (Goosse, 1981).

  • 2 Le Conseil communal réunit l’ensemble des élu∙e∙s et le Collège est l’organe exécutif composé du bo (...)

33Sur le plan formel, la dénomination des artères communales comprend les étapes suivantes (pas nécessairement toutes respectées ou réalisées dans cet ordre) : proposition de dénomination à l’initiative des élu∙e∙s, des services communaux ou des citoyen∙ne∙s ; approbation par le Collège et par le Conseil2 ; approbation par la CRTD ; vote du Conseil communal ; intégra­tion du nom dans le Registre de la population (registre national) ; diffusion de l’information ; affichage des plaques sur la voirie ; enregis­trement éventuel sur Google Maps laissé à l’appréciation des élu∙e∙s qui souhaitent achever le processus de visibilisation des femmes dans l’espace urbain.

34Les communes bruxelloises sont tenues de demander l’avis de la section wallonne de la CRTD, ce qui reflète la démographie majoritairement franco­phone de Bruxelles. Néanmoins, on constate que toutes les femmes de nationalité belge donnant leurs noms à une voirie bruxelloise sont elles-mêmes des Bruxelloises, par naissance ou par résidence, ce qui témoigne du caractère « localiste » du bassin de recrutement en matière d’odonymie. La composition de la Commission royale et de ses deux sections (wallonne et flamande) est également intéressante sur le plan de la répartition des sexes. En 2020, le bureau de la Commission est composé de 4 hommes et d’1 femme. La section wallonne est constituée de 15 personnes dont 4 femmes et la section flamande comprend 3 femmes sur 15 personnes. Le bureau de la section wallonne est 100 % masculin : 2 hommes sur 2 membres, et le bureau de la section flamande est paritaire avec 1 femme et 1 homme. Sur les 9 responsables du contrôle des noms de rues de la section wallonne, un seul est une femme. La composition de la Commission royale est donc très loin de la parité, ce qui peut potentiellement favoriser un biais masculin dans l’analyse des dossiers d’attribution du nom des voiries.

35Dans un entretien, une responsable d’un service égalité des chances s’était émue de la prise de position dans un média télévisé du président de la CRTD qui manifestait une humeur chagrine sur l’attribution d’odonymes féminins sur un ton, disait-elle, inacceptable : « “il déclarait : oui, mais on ne va pas donner un nom de rue à une femme parce que c’est une femme, il faut autre chose”. Ça m’a rendue furieuse ! »

36Muni∙e∙s de notre relevé exhaustif des noms féminins et masculins de l’espace viaire bruxellois, nous avons interviewé des élu∙e∙s pour examiner ce qui se joue sur le terrain autour des odonymes afin de mieux saisir les raisons du déséquilibre démesuré entre les femmes et les hommes.

Contraintes et stratégies de féminisation des odonymes

37L’enquête sur les pratiques et stratégies politiques de féminisation des odonymes a été réalisée auprès d’élu∙e∙s en poste au sein de l’exécutif communal (Collège), dont la plupart occupent leur premier mandat politique. Les entretiens visaient à identifier, à la fois, les contraintes liées à la procé­dure d’attribution du nom des voies urbaines pensée depuis des décennies par des politiques et des fonctionnaires masculins, et les stratégies pour faire aboutir les projets de féminisation des noms dans leur commune respective.

38Encadré 2 – Les entretiens qualitatifs

39Quinze entretiens semi-directifs ont été menés en face à face, par téléphone ou par email auprès d’élu∙e∙s et de responsables administratif∙ve∙s chargé∙e∙s de l’attribution du nom des rues (réalisés de février à mars 2020, où la période de confinement a imposé d’adapter les modalités des rencontres).

40Sur les 15 personnes interviewées, 9 sont des élus∙e∙s dont 8 sont des femmes : 6 écologistes (5 échevinses et 1 conseillère communale), 2 socialistes (1 bourgmestre et 1 échevine), 1 échevine Défi (parti d’obédience libérale et centriste). La surre­présentation des femmes (12 pour 3 hommes) et des partis de la gauche tradition­nelle dans l’échantillon sont le reflet du paysage politique bruxellois depuis les élections locales d’octobre 2018, des compétences et de la disponibilité des élus∙e∙s au moment de l’enquête. Les échevinats concernés sont celui de l’urbanisme, de l’égalité des chances (ou des droits ou des genres), de l’état civil ou de l’espace public.

41Les entretiens portaient principalement sur la description de la procédure d’attribution d’un nom de voirie dans la commune concernée (qui propose, qui décide, selon quels processus et procédure ?), sur les critères de sélection des personnes à honorer, sur les cas d’attribution de noms féminins ou de changements de noms de rue et les débats suscités et, enfin, sur les éventuels projets d’attribution de noms de femmes.

42L’objectif de l’enquête était d’illustrer les pratiques et les stratégies odonymiques des communes bruxelloises et non de comparer leur dynamisme respectif. C’est pourquoi tous les extraits d’entretiens présentés ci-après sont anonymisés.

  • 1 Les médias signalaient que les femmes étaient majoritaires dans huit conseils communaux sur dix-neu (...)

43Le profil majoritairement féminin des élu∙e∙s rencontré∙e∙s (8/9) est certes lié à leur compétence, mais il témoigne aussi d’une présence croissante des femmes dans la sphère politique décisionnelle à l’échelle locale1 (IEFH, 2018), d’un engagement dans la lutte pour l’égalité et d’une conscience des enjeux relatifs à l’attribution des odonymes communaux au regard du champ de responsabilités politiques choisi. Raibaud (2015) soulignait l’obstacle majeur au changement des pratiques politiques que constitue la faible présence des femmes tant dans les sphères de réflexion sur la ville que celles de la décision politique, sans considérer cependant que l’accès des femmes en politique garantit une approche genrée des politiques publiques.

Féminisation des voiries : soutiens et résistances

44Selon les témoins, le principe de la féminisation des odonymes semble acquis dans les exécutifs des 8 communes représentées. Il s’appuie géné­ralement sur l’engagement politique des majorités communales à appliquer l’égalité de traitement et à lutter contre toutes les catégories de discri­mination inscrites dans la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale, dans un plan d’action pour l’égalité femmes-hommes ou dans des accords de majorité dont certains incluent le projet de féminiser les noms de rues de la commune.

45Cette posture égalitaire unanime se décline cependant à des rythmes et des amplitudes variés : elle se reflète dans une position de principe plus ou moins ambiguë (« c’est dans l’air du temps »), elle se manifeste sous l’angle d’un impératif (« la féminisation de la société est en marche depuis longtemps et nous considérons qu’il est de notre devoir de mettre le talent, le courage ou l’œuvre de ces femmes à l’honneur »), ou elle s’affirme à travers une stratégie politique explicite à la faveur d’un nouveau rapport de force au sein du Collège ou du Conseil communal :

« C’est quand même normal que la moitié de l’humanité soit davantage représentée dans l’espace public, c’est la même chose pour tout, c’est pareil pour les artistes qui sont bien moins souvent exposées que les hommes. Il y a une véritable inégalité et ça me paraît juste une évidence, depuis que je suis élue, de me battre pour rendre hommage aux femmes. Je pense franchement que mes prédécesseurs n’étaient pas contre, mais ils n’auraient pas été jusqu’à changer le nom de certaines rues. Aujourd’hui, ils n’ont pas le choix ! On a un des Conseils communaux le plus féminin de Belgique ».

46Bien que certaines élues soient convaincues du féminisme de leurs collègues masculins (« Ils n’allaient certainement pas freiner, ils sont quand même assez féministes dans notre commune ») l’adhésion unanime à la fémi­ni­sa­tion des odonymes cache parfois des résistances à l’égalité de la part d’élus masculins. Ils « pinaillent », brandissent le principe de non-discri­mination des hommes pour empêcher un nombre supérieur d’attributions de noms féminins visant à compenser le retard accumulé au cours du temps, mobi­lisent des clichés sur les femmes pour justifier leurs réserves ou proposent n’importe quel autre nom :

« Il y a une certaine logique qui voudrait que l’attribution des futures voi­ries soit paritaire parce qu’on estime que c’est ça l’égalité aujourd’hui. Dans le cas des 4 rues à nommer, on a procédé de la sorte : 2 hommes, 2 femmes en disant “pas de discrimination envers les hommes”. Mais ça, c’est un des freins. Puis viennent les clichés du genre “mais non il n’y a pas vraiment de femmes qui ont fait des choses importantes” ou “on va perdre en qualité dans l’espace public si on donne des noms de femmes” ».

« J’aimerais bien dire qu’à partir de maintenant tous les noms de rue seront féminins, mais je vois bien que, même pour la crèche, c’était un combat : ils ne voulaient pas spécialement mettre un nom d’homme, mais appeler ça les libellules ou les p’tits loups ou je ne sais quoi d’autre ».

  • 2 Fin 2019, l’échevine de l’urbanisme de Bruxelles-Ville du nouvel exécutif communal a soumis au vote (...)

47Les résistances de l’ordre masculin au changement s’illustrent aussi dans l’expérience du nouveau quartier « Tour et Taxis » créé sur le territoire de Bruxelles-Ville. Bien que les autorités communales se soient clairement engagées à augmenter significativement le nombre d’odonymes féminins, l’appel à participation de la population – organisé en juin 2018 pour attribuer un nom aux 28 nouvelles voiries de ce site – s’est soldé par un résultat navrant : sur les 1 397 propositions de toute nature (plantes, animaux, humains, etc.), le jury a sélectionné deux noms de femmes : la cinéaste Chantal Akerman et la première femme universitaire et première médecin de Belgique, Isala Van Diest2.

Stratégies d’action des élu∙e∙s

48Les contraintes légales, topographiques, géographiques et politiques limitent fortement les opportunités d’attribution des noms de femmes aux artères de la ville. Sur ce point, l’odonymie bruxelloise montre une géographie com­plexe. Les communes où la proportion de noms de femmes est la moins défavorable se situent à la fois au centre de la RBC (Bruxelles-Ville) et en ses entours (Forest et Uccle au sud, Jette et Ganshoren au nord, Woluwe-Saint-Lambert à l’est) ; les proportions les plus masculines se retrouvent dans les communes centrales les plus denses. Mais le schéma est loin d’être strictement concentrique, certaines communes périphériques montrant une féminisation odonymique très basse (Evere) et certaines communes centrales des proportions moins inégales du point de vue du genre (Ixelles ou Koekelberg). Il n’existe donc pas de lien nécessaire entre la densité du bâti et la répartition des odonymes. Notre enquête révèle que le paysage topony­mique évolue plutôt en fonction des initiatives politiques locales. Cinq types d’actions déployées par les élu∙e∙s ont pu être identifiés : débaptiser les noms des rues, féminiser les nouvelles voies, élargir le spectre des odonymes à d’autres objets urbains, repenser l’espace et les politiques publiques, et, enfin, s’allier aux organisations féministes qui dénoncent l’invisibilité des femmes dans l’espace urbain.

Débaptiser le nom des rues

49Débaptiser le nom d’une rue nous paraît un acte simple et banal. Or, cette démarche est rare (elle marque généralement des événements politiques d’importance majeure) et techniquement complexe : elle implique des opérations liées au problème des impétrants dans le sous-sol (eau, électricité, gaz, télécommunication, égouts) et, par conséquent, un nombre significatif d’intervenants. En effet, toutes les adresses du sous-sol et de tous les habi­tant∙e∙s, commerces et entreprises qui y résident doivent être modifiées. Si bien que les élu∙e∙s écartent unanimement cette procédure, même si elle a été exceptionnellement pratiquée comme lors de la suppression des homonymies recommandée par la CRTD suite au décès du très populaire Roi Baudouin (1993) ou au lendemain de la Première Guerre mondiale pour commémorer une bataille célèbre.

50Les nombreux noms de combattants de guerre constituent un autre obstacle à la débaptisation d’une voie urbaine car ils sont l’objet d’un tabou moral et symbolique. Ce bastion masculin intouchable empêche l’attribution des noms de femmes, y compris celles connues pour leurs faits de bravoure ou de résistance pendant les guerres. Si certaines élues pensent pouvoir accroître le potentiel de voies à féminiser, elles savent qu’elles manqueront de soutien politique lorsqu’elles proposeront de toucher aux odonymes glorifiant les combattants des guerres :

« Le 1er novembre, on fait le tour des monuments aux morts et, à part Édith Cavell, il n’y a rien pour les femmes. Là, on touche à la mémoire liée à la guerre. Cela serait considéré comme un acte spectaculaire et radical ».

51Des initiatives en ce sens voient néanmoins le jour. Au début de l’année 2020, la ministre bruxelloise de la Mobilité, Elke Van den Brandt (Groen, parti écologiste) a décidé que le plus long tunnel routier de Bruxelles serait débaptisé et renommé au nom d’une femme, choisi par la population. Ce changement accompagne l’importante opération de rénovation de l’ouvrage célébrant jusqu’alors le nom du Roi Léopold II, sous l’impulsion duquel fut réalisée la colonisation du Congo à la fin du XIXe siècle. Le geste revêt dès lors une double signification, féministe et décoloniale.

Féminiser les nouvelles voiries

52Une autre option pour l’attribution de noms féminins aux voiries concerne les nouveaux quartiers ou les lieux encore anonymes (jardins, îlots, cours intérieures, venelles, allées, etc.). Cette voie est fréquemment suivie, mais elle soulève trois problèmes majeurs : d’abord, le très faible nombre de nouvelles rues créées dans les communes bruxelloises dont le bâti est très dense, ensuite l’absence de consensus pour féminiser la totalité ou la majori­té de ces nouvelles voies pour contrecarrer le poids de l’histoire en défaveur des femmes, enfin la moindre visibilité des figures féminines qui ne bénéfi­cient que de voiries marginales.

53Conscient∙e∙s de ces enjeux, des élu∙e∙s réagissent alors en démultipliant des actions de visibilisation des femmes dans l’espace public comme, par exem­ple, l’attribution de faux noms de rue féminins :

« Lors de la Journée internationale des Droits des femmes et au cours du mois de mars, on va installer des fausses plaques au nom de femmes qui ressemblent aux vraies plaques. On a choisi dix rues et un square sur les­quels on va lier la lutte pour l’égalité des femmes et la lutte pour la déco­lonisation des rues. Pendant six mois, on affichera le nom de la femme et une brève description biographique sur la plaque. Puis, on va publier un prospectus avec le plan reprenant les noms de rue et organiser des balades avec une historienne sur le parcours de ces femmes ».

Étendre le spectre des odonymes à d’autres objets urbains et minorités invisibles

  • 3 À l’échelle de la RBC, des Parlementaires soutiennent ce type d’initiatives et ont soumis au Parlem (...)

54Face au manque d’espace et d’opportunités qui permettraient d’amplifier la féminisation des odonymes, des élu∙e∙s élargissent leur stratégie de fémini­sation à tous types de bâtiments publics tels que les écoles, crèches, jardins et parcs, salles communales, stades, piscines, etc.3.

55Plusieurs de nos témoins envisagent leur action dans une perspective intersectionnelle qui témoigne de la diffusion dans une partie de la classe politique d’une pensée et d’une praxis complexes portées par des femmes, des jeunes et des personnes racisées, notamment issu∙e∙s de classes popu­laires. Leur stratégie plaide pour une ouverture aux autres populations invisibilisées telles que les ouvrières et les minorités racisées et sexuelles. Selon les témoignages, cette approche répond souvent à une volonté de mieux refléter le profil de la population qui réside dans la commune et de faire écho à la mobilisation de groupes de citoyen∙ne∙s (les collectives Noms Peut-être ou Mémoire coloniale) qui contestent les odonymes rendant hom­mage essentiellement aux hommes ou aux serviteurs de l’entreprise coloniale (tel le roi Léopold II déjà évoqué). Il∙le∙s proposent donc de valoriser davantage des personnages autres que les femmes blanches et bourgeoises :

« Au-delà des femmes, il y a aussi une volonté de réfléchir aussi aux popu­lations racisées. Pour nous, ce sont deux faces d’une même pièce : le rap­port au patriarcat, le rapport aux dominants-dominés en général ».

« On a choisi onze noms de femmes issues de la diversité. L’idée était de ne pas mettre en avant trop de femmes qui n’ont pas besoin de reconnais­sance, comme Édith Cavell ou Marie Curie. On a plutôt essayé de mettre en lumière des femmes moins connues malgré leurs prouesses ».

« L’intersectionnalité, franchement, c’est loin d’être compris par une série de personnes. (…) Dans les discussions qui ont eu lieu au Collège, la pro­position de remplacer des noms d’hommes liés aux colonies a suscité des blocages (…) parce qu’il y a encore quelques coloniaux dans notre com­mune... Pour les femmes, si on regarde bien, ce ne sont que des blanches. On pourrait pousser plus loin et se demander si ce ne sont que des hétéros ? Toutes des universitaires, bourgeoises ou nobles ? »

Repenser les politiques publiques

56Les récits des certain∙e∙s élu∙e∙s a aussi révélé le niveau complexe d’éla­boration de leur stratégie qui articule une variété d’enjeux liés aussi bien à la sécurité, au harcèlement de rue, à l’occupation des espaces publics, à l’accès des femmes aux activités et budgets sportifs et culturels ou, encore, à la valorisation des artistes et de l’art féminins.

« L’art, c’est une chose à laquelle il faut faire super gaffe. Il y a le « street art », la peinture ou toute représentation artistique. Pour le street art, il y a une tendance à représenter des figures très masculines ou, quand ce sont des nanas, elles sont très sexualisées. Même dans les autres formes d’art, on a aussi des représentations hyper genrées. Là aussi il faut déconstruire les représentations stéréotypées des femmes et des hommes dans l’espace public ».

57La conscience du caractère systémique des inégalités sociales a conduit certain∙e∙s élu∙e∙s à mobiliser deux outils de gestion des politiques publiques, le gender mainstreaming et le gender budgeting, souvent brandis mais rarement utilisés dans les communes. Le premier, par exemple, articule les politiques économiques, sociales et culturelles, mais également veille au respect de la parité dans la composition des commissions communales (ex. : urbanisme), dans l’accès à l’emploi communal et aux activités culturelles et sportives et il examine les biais éventuels produits dans les cahiers des charges des appels d’offres, etc. Le gender budgeting évalue l’impact des politiques sur les femmes et les hommes et permet ainsi d’identifier les groupes sociaux qui en bénéficient le plus : en matières culturelle, sociale ou sportive, cet instrument mesure les déséquilibres d’accès aux moyens financiers distribués ou aux activités organisées par la commune comme les activités artistiques, sportives et de loisirs qui profitent majoritairement aux hommes et mis en évidence dans plusieurs études récentes (Blanchard et Hancock, 2017 ; Woelfle, 2019).

« Dans ma commune, on a observé que les stages de sports profitaient sur­tout aux garçons et pas assez aux filles. Alors qu’il y a de plus en plus de clubs de foot de filles, elles ne trouvent pas de plages horaires toutes occupées par les garçons ni de terrain pour s’entraîner. Pour les piscines, tous les maîtres-nageurs sont des hommes. Cet exercice nous oblige à produire des statistiques pour rééquilibrer les choses. Tout ça demande du temps en termes de diagnostic ».

58Enfin, les élu∙e∙s du groupe écologiste rencontré∙e∙s soulignent leur choix stratégique de coordonner la politique d’égalité des chances et des droits des femmes à l’échelle des communes où il∙le∙s détiennent ces compétences. Cet espace est un lieu collectif d’échanges d’expériences et de réflexion, mais également un canal de diffusion des activités initiées et de soutien à l’action politique de ce parti en la matière.

S’allier aux organisations féministes

59L’espace urbain est régulièrement le terrain de luttes et de contestations diver­ses autour d’intérêts matériels et symboliques antagoniques. La mémoire collective est un des enjeux qui s’actualise par ces tensions récurrentes :

« La mémoire collective, et la mise en patrimoine qui en est une expression, procède par reconstructions constantes au cours desquelles des groupes s’affrontent, s’évitent, s’ignorent, s’inventent, négocient et réécrivent au présent le récit du passé. Parce qu’elle participe de la transmission et de la cohésion du groupe, ou au contraire de leur délitement, la patrimonialisation donne à lire les dominations sociales, culturelles, mémorielles qui participent de la fabrique des territoires urbains contemporains. » (Busquet et al., 2014, p. 1)

60Ainsi, la répartition des odonymes de l’espace viaire bruxellois est désormais un enjeu qui mobilise des citoyen∙ne∙s. Deux collectives en particulier, Noms Peut-Être4 et L’architecture qui dégenre5, ont dénoncé le déni d’histoire et de reconnaissance des femmes dans l’espace urbain que les tenant∙e∙s d’un ordre patriarcal ont du mal à concéder et à réparer.

61La première action de la collective Noms Peut-être a consisté à placarder la nuit les murs de certaines rues de Bruxelles de fausses plaques célébrant des femmes belges et étrangères (illustration 2). Ce faisant, elle contribue à sensibiliser et nourrir la réflexion, notamment, des élu∙e∙s avec qui elle collabore pour certaines de leurs actions.

Illustration 2 – Féminisation symbolique du nom d’une rue par la collective Noms Peut-être (Saint-Gilles, 2019)

Illustration 2 – Féminisation symbolique du nom d’une rue par la collective Noms Peut-être (Saint-Gilles, 2019)

©les auteur∙e∙s, 2019.

62Elle a, par exemple, participé à la rédaction de motions sur la féminisation du nom des rues dans deux communes bruxelloises et confectionné des listes de noms de femmes à honorer.

« L’action de la re-nomination des noms de rue chez nous par la collective Noms Peut-être a marqué les esprits et il y a encore des endroits où le nom est encore visible. Cela a suscité des débats et interrogations sur les réseaux sociaux sur la raison du faible nombre de rues au nom féminin ».

  • 6 À Bruxelles, le décompte est tout aussi désolant qu’à Paris (où parmi les 302 stations existantes, (...)
  • 7 Cette action effectuée en juin 2019 auprès de l’Université Libre de Bruxelles a permis, en moins d’ (...)
  • 8 Voir le site https://equalstreetnames.brussels

63La désobéissance civile non-violente qu’elle promeut pour renommer les rues s’étend désormais aux stations de métro de Bruxelles6, aux emplois de la société bruxelloise de transport public (STIB) et aux amphithéâtres des universités7. Elle mène ses actions notamment lors de la Journée interna­tionale des Droits des Femmes, ce qui lui offre une couverture médiatique importante pour toucher la population. Ses autres modes d’action consistent dans des marches exploratoires, des promenades féministes et la mise en ligne d’une carte interactive qui permet de visualiser le déséquilibre genré des odonymes à Bruxelles8.

64L’architecture qui dégenre, créée en octobre 2018 par une jeune architecte féministe, interroge « l’ordre dominant, construit l’égalité, édifie l’opti­misme (…) et l’accès à la propriété pour les femmes et aux professions liées »9. Son objet porte davantage sur le rôle architectural, sculptural, urba­nis­tique et social des femmes dans le façonnage de la ville et sur le matri­moine laissé en héritage au regard des biens que les femmes possédaient et étaient en droit de posséder dans une société patriarcale. L’association organise des balades et des conférences et est à l’initiative des Journées du Matrimoine bruxelloises organisées pour la première fois fin septembre 2019. C’est dans ce cadre que l’échevine de la commune de Saint-Gilles a inauguré la place Marie Janson (première sénatrice belge cooptée) dont le nom, attribué depuis 2007, restait largement inconnu de la plupart des passant∙e∙s qui fréquentent cette place.

Féminiser l’odonymie bruxelloise : un défi politique et symbolique

65L’enquête sur l’état des lieux de la toponymie viaire féminine à Bruxelles a établi deux constats quantitatifs importants : premièrement, le déséquilibre numérique entre les figures féminines (4 %) et masculines (46 %) dans les voies qui portent le nom d’une personne ou d’un groupe humain et, deuxiè­mement, l’inégalité dans les types de voiries attribuées respectivement aux femmes et aux hommes (peu de grands axes portent des noms de femmes) et de personnages honorés (moins de personnalités individuelles que de figures souveraines ou religieuses). En outre, l’enquête qualitative a révélé les résistances de l’ordre masculin à la féminisation de l’odonymie bruxelloise mais également les diverses stratégies politiques d’élu∙e∙s locales déployées pour accroître la visibilité des femmes dans la matérialité de l’espace public.

66L’analyse a également montré que l’attribution d’un nom de rue ne relève ni d’une simple opération technique ni d’une pratique neutre dénuée d’enjeux matériels et symboliques ; comme pour un territoire, nommer ou renommer un lieu peut constituer « un acte politique fondateur » (Giraut et al., 2008 ; Bourillon, 2012). Nommer les artères d’un espace urbain revient à donner sens aux lieux, et tout autant à faire exister symboliquement un être. Cette odonymie dévoile, en mode mineur, à la fois le poids de l’histoire et les points de vue sur l’histoire des groupes sociaux dominants (hommes, pro­priétaires, blancs) qui ont lourdement pesé sur la mise à l’honneur des personnages dans l’espace public bruxellois. Sniter (2004) nous rappelle utilement que la toponymie urbaine perpétue la tradition sociopolitique du culte des « grands hommes » entendue comme la reconnaissance symbolique qu’accorde la nation à ses membres censément les plus illustres ; cette posture se traduit concrètement par la marginalisation des femmes dans le récit historique hégémonique inscrit dans la matérialité de la cité. Les classes populaires sont également confrontées à la difficulté d’inscrire leurs mémoires dans la spatialité et la matérialité des lieux (Veschambre, 2014) et s’engagent aussi dans des luttes mémorielles en vue de résister à l’effa­cement de leur histoire (Zanetti, 2018). De même, l’enquête de Jacobs (2018) s’est penchée sur l’inventaire des acteur∙e∙s de la colonisation belge dans la toponymie viaire à Bruxelles et souligne l’absence des femmes et des hommes africain∙e∙s. L’odonymie urbaine constitue donc indubitablement un terrain où s’exprime la domination résultant de l’intrication des rapports de sexe, de genre, de classe et de race.

67Comment, dès lors, consacrer l’égalité des sexes dans l’odonymie des espa­ces urbains ? Le changement radical des toponymies (incluant les odo­nymes) tel qu’opéré par la volonté d’un pouvoir autoritaire ou d’un peuple pour assoir sa légitimité aux lendemains des révolutions, des con­quêtes coloniales ou des décolonisations (Houssay-Holzschuch, 2008) ne sied pas à la stratégie résolument démocratique que déploient les féministes dans la ville.

68L’enquête menée sur le terrain bruxellois a montré que l’intersectionnalité est pensée et mise en œuvre par des militant∙e∙s associatives et certain∙e∙s élu∙e∙s qui tentent de rendre justice à la mémoire des femmes. Même si ces élu∙e∙s peinent à rattraper le retard accumulé au cours du temps et à braver les résistances masculines tenaces dans la sphère politique, elles ont montré leur pugnacité et leur inventivité en explorant divers pistes et instruments pour augmenter la visibilité des femmes dans leur diversité dans l’espace urbain. Les options qu’elles proposent consistent notamment dans l’attri­bution de noms féminins aux bâtiments publics, dans le gender budge­ting qui objective les inégalités matérielles dans l’accès aux politiques publiques locales (sociales et culturelles) ou dans l’option du quota instituant des obligations de genre dans l’attribution des odonymes. Cette dernière option fait l’objet d’âpres négociations à Bruxelles, même si sa faisabilité a été éprouvée à la mairie de Paris qui a décidé en 2014 d’attribuer des noms de rues à parité entre femmes et hommes et est passée à 61 % de noms de femmes en 2015.

69Les études menées par les sciences sociales, telle que celle présentée ici, entendent apporter à ces luttes leur soutien par un travail complémentaire d’objectivation et de compréhension des processus structurant la fabrication de la ville, dont l’odonymie fait partie intégrante. Un important chantier s’ouvre pour le futur : celui d’une comparaison des villes à une échelle internationale, susceptible d’identifier les spécificités locales et les conver­gences générales en cette matière.

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Notes

1 Les travaux innovateurs et critiques des féministes sur l’analyse genrée de l’espace urbain ne sont pas abordés dans le présent article. Voyez Coutras, 1996, 2003 ; Hancock, 2004 ; Rey 2002 ; Direnberger et Schmoll, 2014 ; Clerval et Le Renard, 2015 ; Mosconi et al. 2015 ; Raibaud, 2015. Ces études envisagent la ville comme un espace complexe traversé par une multitude de rapports de domination et contestent, à la fois, la vision neutre de l’espace urbain (produit de représentations et d’usages sociaux qui le façonnent) et la dichotomie espace public/espace privé.

2 Comme l’indique le relevé par nationalités/origines/sexualité et genre établi par la collective bruxel­loise Noms Peut-Être !/Vrouwen de straat op ! dont l’action promeut le nom des femmes dans leur diversité, mais également les queers et les transgenres. https://nomspeutetre.wordpress.com/

3 Le site Mapbox cartographie le sexisme des villes sur base des données d’OpenStreetMap. En moyenne, 27,5 % des rues étudiées portaient un nom féminin. Seule une ville en Inde attribue 39 % de noms de rue aux femmes. https://blog.mapbox.com/mapping-female-versus-male-street-names-b4654c1e00d5

4 Les termes voirie, voie ou artère désigneront alternativement ces espaces publics de circu­lation, indépendamment de leurs différences intrinsèques.

1 Les autres types de voiries recensés sont des allées (9), des drèves (9), des clos (4), des « petites rues » (4), des parvis (4), des tunnels (3), des impasses (2) ainsi qu'un carrefour, une galerie, un jardin et un passage

1 En Belgique, elle est plus contraignante par exemple qu’en France où le Conseil municipal et le/la maire disposent d’une large marge de manœuvre sur les critères et le choix des noms, si bien qu’il y aurait autant de procédures que de conseils municipaux (Comard-Rentz, 2006).

2 Le Conseil communal réunit l’ensemble des élu∙e∙s et le Collège est l’organe exécutif composé du bourgmestre (maire) et des échevins (adjoints).

1 Les médias signalaient que les femmes étaient majoritaires dans huit conseils communaux sur dix-neuf : Auderghem, Ganshoren, Ixelles, Saint-Gilles, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert et Woluwe-Saint-Pierre.

2 Fin 2019, l’échevine de l’urbanisme de Bruxelles-Ville du nouvel exécutif communal a soumis au vote du Conseil communal le nom d’Anna Boch pour une drève qui avait été attribuée à une famille de la noblesse allemande historiquement liée au site. Boch est une artiste peintre membre du « Groupe des XX » qui a marqué l’impressionnisme belge (cf. Le Soir, 12/11/19).

3 À l’échelle de la RBC, des Parlementaires soutiennent ce type d’initiatives et ont soumis au Parlement bruxellois une résolution relative à l’attribution de noms de femmes dans l’espace public en juillet 2018, session ordinaire 2017-2018, A-716/1-2017-2018.

4 https://nomspeutetre.wordpress.com/

5 https://fr-fr.facebook.com/pg/architecturequidegenre/about/?ref=page_internal

6 À Bruxelles, le décompte est tout aussi désolant qu’à Paris (où parmi les 302 stations existantes, 4 portent un nom de femme, selon Sniter, 2004) : sur 60 stations, 31 portent un nom de personne, dont 5 femmes et 26 hommes, soit 16 % de noms féminins.

7 Cette action effectuée en juin 2019 auprès de l’Université Libre de Bruxelles a permis, en moins d’un an, d’obtenir que 11 amphithéâtres soient baptisés de noms de femmes belges ou étrangères sur un campus qui n’en comptait aucun.

8 Voir le site https://equalstreetnames.brussels

9 https://fr-fr.facebook.com/pg/architecturequidegenre/about/?ref=page_internal

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Table des illustrations

Titre Figure 1 – Nombre de noms de femmes et d’hommes dans les rues des 19 communes de la Région de Bruxelles-Capitale
URL http://journals.openedition.org/gc/docannexe/image/15840/img-1.png
Fichier image/png, 61k
Titre Illustration 1 – Plaques de l’Allée Rosa Luxemburg (Bruxelles-Ville, 2020)
Crédits ©les auteur∙e∙s, 2020.
URL http://journals.openedition.org/gc/docannexe/image/15840/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 266k
Titre Illustration 2 – Féminisation symbolique du nom d’une rue par la collective Noms Peut-être (Saint-Gilles, 2019)
Crédits ©les auteur∙e∙s, 2019.
URL http://journals.openedition.org/gc/docannexe/image/15840/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 119k
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Pour citer cet article

Référence papier

Nouria Ouali et Pierre Lannoy, « Matérialité de l’espace urbain et égalité des sexes »Géographie et cultures, 115 | 2020, 157-179.

Référence électronique

Nouria Ouali et Pierre Lannoy, « Matérialité de l’espace urbain et égalité des sexes »Géographie et cultures [En ligne], 115 | 2020, mis en ligne le 23 juin 2021, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/gc/15840 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.15840

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Auteurs

Nouria Ouali

Université Libre de Bruxelles
Centre de recherche METICES
nouali@ulb.ac.be

Pierre Lannoy

Université Libre de Bruxelles
Centre de recherche METICES
pilannoy@ulb.ac.be

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Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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