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No 128, mars 2022 – Le multilinguisme dans les organisations internationales

Date limite de réception des avant-projets : 1er septembre 2020

Le multilinguisme dans les organisations internationales

Coordonné par Rachele Raus, Cécile Robert, Stefano Vicari et Chloé Gaboriaux

Quel rôle le multilinguisme joue-t-il dans le travail politique au sein des organisations internationales ? C’est à cette question que les contributions du présent dossier sont appelées à répondre, à partir de leur horizon disciplinaire propre (les sciences du langage, de l’information et de la communication, la science politique, la sociologie, l’histoire ou le droit), dans la perspective d’un dialogue pluridisciplinaire. L’enjeu est celui des aspects politiques de la traduction dans ces organisations où elle est souvent incontournable, qu’il s’agisse de la traduction au sens strict – celle qui consiste pour des personnes recrutées à cette fin à transposer discours écrits et oraux d’une langue dans une autre – ou de l’opération mentale qu’elle implique entre locuteurs d’une même langue mais avec laquelle ils n’ont pas toujours la même familiarité. Par « aspects politiques », nous entendons explorer les implications et effets produits par le multilinguisme à différents niveaux.

Orientation et politisation de la traduction

Les effets du multilinguisme opèrent d’abord dans l’opération même de la traduction. En raison de l’irréductibilité des structures des langues comme des imaginaires culturels, sociaux et politiques qu’elles font vivre tout en les véhiculant, les différentes versions d’un discours ou d’un texte ne sont jamais identiques (Guidère, 2008a). Les écarts de langue produisent ainsi des écarts de significations dont il s’agit ici d’analyser les dimensions politiques, en termes de points de vue (Guidère, 2008b ; Raus, 2011), de positionnements (Raus, 2013, p. 21), d’effets illocutoires et perlocutoires (Raus, 2017) et plus généralement d’intercompréhension et bien souvent d’incompréhension, que les zones d’ombre ou les malentendus soient involontaires ou au contraire entretenus à dessein (Guidère, 2008b ; Guidère, 2009, p. 34).

Réciproquement, la contamination entre langues (Raus, 2009), comme dans le cas des calques qui produisent de véritables « emprunts du sens » (Paquet-Gauthier, 2018), entraîne des interférences culturelles qui méritent d’être analysées. C’est, par exemple, le cas de mots en français qui acquièrent d’autres sens par contamination de l’anglais, notamment en des contextes de bi-multilinguisme (voir par exemple Gagnon, Brunette, 2016). 

Dans les organisations internationales où plus de deux langues sont en jeu, ce qui est le cas le plus fréquent, la question de la langue pivot est centrale (Truchot, 2008, p. 81) pour comprendre la façon dont des termes et donc des concepts issus d’une langue sont imposés, diffusés, réappropriés dans d’autres, en tant que néologismes traductifs (Hermans, Vansteelandt, 1999).

L’influence des dispositifs sur la communication multilingue et le multilinguisme

Les effets du multilinguisme sont aussi produits et rendus visibles par les dispositifs mis en œuvre dans la traduction. Ces derniers peuvent être linguistiques et médiatiques, à l’instar des banques de traduction (IATE, UNTERM, TERMIUM+, etc.) ou des logiciels de traduction automatique, qui ont des effets importants, quoique souvent sous-évalués par les acteurs en termes cognitifs et idéologiques, et qui commencent à être interrogés (Krieg-Planque, 2015, p. 122 ; Raus, 2013, p. 127, 2019), notamment à la suite des développements récents de l’intelligence artificielle, utilisée de plus en plus dans les logiciels de traduction automatique ou d’aide à la traduction (Souchier, Candel, Gomez-Mejia, 2019). Les grilles de traduction que ces dispositifs imposent sont autant de grilles d’écriture et de lecture qui doivent être interrogées, parce qu’elles contribuent à la diffusion d’« éléments de langage » (Krieg-Planque, Oger, 2015) et de routines discursives (Née et al., 2017). Cela d’autant plus que les corpus multilingues des organisations internationales sont désormais exploités pour l’amélioration des algorithmes de traduction automatique neuronale (les corpus de l’ONU pour le traducteur de Google ; le corpus du Parlement européen pour Facebook...).

Mais nous nous intéressons aussi aux dispositifs juridiques et institutionnels qui encadrent le multilinguisme dans les organisations internationales : choix de la/des langue(s) pivots(s) (Afton, 2007, p. 118 ; Cosmai, 2014, p. 185-186), règles encadrant le travail des traducteurs et les textes qu’ils produisent (Koskinen, 2008, p. 17-31 ; Leoncini Bartoli, 2011, 2016), etc.

Les pratiques des acteurs du multilinguisme

Enfin, les effets du multilinguisme se manifestent dans les pratiques, qu’il s’agisse de celles des traducteurs, des fonctionnaires internationaux ou des acteurs politiques (Schäffner, Tcaciuc, Tesseur, 2014). Le parcours des traducteurs, qui peuvent être d’abord juristes ou linguistes, influence-t-il leur travail et quels sont les effets de ce dernier ? Peut-on parler à leur égard, comme à l’égard des hauts-fonctionnaires français, de « politisation fonctionnelle », au sens où leur fonction leur donnerait la possibilité de peser à travers la traduction sur telle ou telle négociation (Prieto Ramos, Pacho Aljanati, 2018, p. 198) ?

Dans cette perspective, trois entrées nous paraissent particulièrement fructueuses :

• celle des pratiques langagières. Quel est leur rôle dans la circulation des mots d’une langue à l’autre, ou de l’idiolecte d’une organisation internationale à l’autre (Nugara, 2011) ?

• celle des textes politiques et normatifs. Peut-on observer des usages politiques de la traduction, dans le cadre desquels les acteurs pourraient travailler à transformer de façon délibérée le sens de certains termes, à l’exemple des opérations de traduction des textes européens dans le droit national (transposition nationale de nouvelles normes, intégration de l’acquis communautaire par les pays candidats) ? Comment penser par ailleurs les effets « politiques » de la langue dominante – au sens où celle-ci serait porteuse de représentations du problème et de la solution à traiter, contribuant à valoriser certaines options et à en éliminer d’autres qui ne trouveraient pas de traduction évidente, comme cela a notamment été observé à propos des travaux des instances européennes en matière de politiques sociales (Conter, 2011 ; Barbier, 2008) ? Dans quelle mesure enfin les moindres diffusion et légitimité de certains concepts et façons de voir l’action publique peuvent-elles être liées à la langue utilisée par leurs promoteurs et aux supports de publication et diffusion qu’ils ont privilégiés ? Plus généralement, l’utilisation croissante de l’anglais comme langue pivot s’accompagne-t-elle d’une transformation du rapport de force au sein des organisations internationales (Ban, 2013 ; Wright, 2018) ? Et inversement, les transformations organisationnelles pèsent-elles sur la question des langues et avec cette dernière sur les enjeux de pouvoir, comme lors de l’ouverture de l’Union européenne à l’Est qui a entraîné la diffusion ultérieure de l’anglais comme langue pivot (Cosmai, 2010) ?

• celle de la capacité des acteurs à apporter leur contribution et à se faire entendre dans différentes situations de négociation au sein de et avec les organisations internationales. Comme l’ont montré en effet les travaux sur les acteurs européens, personnel des institutions (Beauvallet, Michon, 2012 ; Georgakakis, 2012), syndicalistes (Wagner, 2005), experts et lobbyistes (Michel, Robert éd., 2010), les compétences linguistiques constituent en effet des propriétés centrales pour l’accès à des positions à l’échelle européenne, tout en demeurant socialement situées. On peut d’ailleurs en dire de même en ce qui concerne la capacité des citoyens à se saisir de certains enjeux internationaux, constat à l’origine de la récente « traduction citoyenne » du rapport 2019 du GIEC. Dans quelle mesure les compétences linguistiques déterminent-elles leurs capacités à se faire entendre et la légitimité qui leur est reconnue par leurs interlocuteurs ? Comment viennent-elles orienter leurs pratiques de négociation ?

Les articles porteront sur des corpus et des terrains multilingues variés. Les différents genres de discours, autant « auctoriaux » que « routiniers » (Maingueneau, 2007, p. 30), produits dans et par les organisations internationales peuvent être pris en compte, tout comme les documents finaux ou ceux qui sont produits au cours des procédures législatives ou d’approbation des documents concernés (administratifs, politiques, informatifs).

L’analyse des sites multilingues des organisations, étant donné l’exigence de visibilité de celles-ci (Guillaume, 2010, p. 83), pourra fournir également un observatoire privilégié pour étudier de près la politisation à l’œuvre lors de la localisation des ressources en ligne (Guidère, 2008b, p. 68-79).

On pourra également questionner les discours des organisations internationales en tant que « discours de prescription » (Hermand, 2017), et plus généralement les pratiques prescriptives d’écriture mises en place par les organisations (c.-à-d. les manuels de traduction de l’ONU, le Code de rédaction interinstitutionnel de l’Union européenne...), ainsi que leurs sources terminographiques multilingues. 

Les propositions pourront également s’appuyer sur une sociologie des pratiques des acteurs, qu’il s’agisse des traducteurs ou plus généralement des agents des organisations internationales et de leurs interlocuteurs, en exploitant par exemple des entretiens et des observations ethnographiques de leurs pratiques, notamment linguistiques.

Références

Afton Thomas, 2007, « Traduction et interprétation dans les organismes internationaux », Hermès, no 49, p. 115-123.

Ban Carolyn, 2013, Management and Culture in an Enlarged European Commission: From Diversity to Unity, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2013.

Barbier Jean-Claude, 2008, La longue marche vers l’Europe sociale, Paris, PUF.

Beauvallet Willy, Michon Sébastien, 2012, « Des eurodéputés “experts” ? Sociologie d’une illusion bien fondée », Cultures & Conflits, no 85-86, p. 123-138

Conter Bernard, 2011, « Origines et impacts de la flexicurité », Courrier hebdomadaire du CRISP, no 2095-2096, p. 5-64.

Cosmai Domenico, 2014, The Language of Europe. Multilingualism and Translation in the EU Institutions: Practices, Problems and Perspectives, D. A. Best éd. et trad., Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles.

Cosmai Domenico, 2010, Tradurre per l’Unione europea: prassi, problemi e prospettive del multilinguismo comunitario dopo l’ampliamento a est, Milan, Hoepli.

Gagnon Chantal, Brunette Louise, 2016, « Les anglicismes dans les discours politiques au Québec et au Canada », Mots. Les langages du politique, no 111, p. 15-32.

Georgakakis Didier, 2012, Le champ de l’Eurocratie : une sociologie du personnel politique de l’UE, Paris, Economica.

Guidère Mathieu, 2009, « Qu’est-ce que la communication orientée ? », dans M. Guidère éd., Traduction et communication orientée, Paris, Le Manuscrit, p. 13-59.

Guidère Mathieu, 2008a, Introduction à la traductologie : penser la traduction, hier, aujourd’hui, demain, Bruxelles, De Boeck.

Guidère Mathieu, 2008b, La communication multilingue : traduction commerciale et institutionnelle, Bruxelles, De Boeck.

Guillaume Astrid, 2010, « La traduction au service des ONG », Hermès, no 56, p. 83-89.

Hermand Marie-Hélène, 2017, « La formation discursive eurorégionale. Articulation et approche sémantique d’un corpus multilingue », Corpus, no 17, https://journals.openedition.org/corpus/2899.

Hermans Adrien, Vansteelandt Andrée, 1999, « Néologie traductive », Terminologies nouvelles, no 20, p. 37-43.

Koskinen Kaisa, 2008, Translating Institutions: An Ethnographic Study of EU Translation, Manchester, Kinderhook, St. Jerome Publishing.

Krieg-Planque Alice, 2015, « Construire et déconstruire l’autorité en discours. Le figement discursif et sa subversion », Mots. Les langages du politique, no 107, p. 115-132.

Krieg-Planque Alice, Oger Claire, 2015, « Éléments de langage », dans Publictionnaire : dictionnaire encyclopédique et critique des publics, Metz, Université de Lorraine, CREM, http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/elements-de-langage.

Leoncini Bartoli Antonella, 2016, Guides de rédaction et traduction dans le cadre de l’Union européenne, Rome, CISU.

Leoncini Bartoli Antonella, 2011, « Les normes de traduction au sein de l’Union européenne : “unité dans la diversité” ou “diversité dans l’unité” ? », Scolia, no 25, p. 225-238.

Maingueneau Dominique, 2007, « Genres de discours et modes de généricité », Le français d’aujourd’hui, no 159, p. 29-35.

Michel Hélène, Robert Cécile éd., 2010, La fabrique des « Européens » : processus de socialisation et construction européenne, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg.

Née Émilie, Sitri Frédérique, Veniard Marie, Fleury Serge, 2017, « Routines discursives et séquentialité dans des écrits professionnels : la mise au jour d’une séquence évaluative ? », Corpus, no 17, https://journals.openedition.org/corpus/2880.

Nugara Silvia, 2011, « De l’anglais onusien au français européen : l’émergence de la dénomination violence domestique à l’égard des femmes dans le discours du Conseil de l’Europe », dans A. Calvo, G. Fornengo, R. Raus et al. éd., World Wide Women: Globalizzazione, Generi, Linguaggi, Vol. 1, Turin, CIRSDe, https://iris.unito.it/retrieve/handle/2318/143354/24029/WWWsilvia.nugara.pdf.

Paquet-Gauthier Myriam, 2018, « Changements sémantiques sous l’influence de l’anglais : le cas de quatre “emprunts de sens” en français au Québec (1992–2012) », dans C. Jacquet-Pfau, A. Napieralski et J.-F. Sablayrolles éd., Emprunts néologiques et équivalents autochtones : études interlangues, Łódź, WUŁ, p. 201-228.

Prieto Ramos Fernando, Pacho Aljanati Lucie, 2018, « Comparative interpretation of multilingual law in international courts: patterns and implications for translation », dans F. Prieto Ramos éd., Institutional Translation for International Governance: Enhancing Quality in Multilingual Legal Communication, Londres, Bloomsbury Academic, p. 181-201.

Raus Rachele, 2019, « L’approche d’“archive” pour accéder aux termes dans la communication multilingue :
 le cas des concordanciers », dans P. Kottelat, M. M. Mattioda, L. Novallet et R. Raus éd., Confluences, liens, rencontres : synergies d’expression française, Turin, METI, p. 225-240.

Raus Rachele, 2017, « Les rapports d’initiative au Parlement européen ou comment la traduction influe sur les aspects performatifs d’un genre discursif », Mots. Les langages du politique, no 114, p. 95-115.

Raus Rachele, 2013, La terminologie multilingue : la traduction des termes de l’égalité H/F dans le discours international, Bruxelles, De Boeck.

Raus Rachele, 2011, « La traduction des termes en discours : la construction du point de vue dans les Amendements du Parlement européen », dans J. Lillo éd., D’hier à aujourd’hui : réception du lexique français de spécialité, Monce, Polimetrica, p. 239-252.

Raus Rachele, 2009, « Synonymie et autres mécanismes de co-référence dans la traduction des textes internationaux mixtes : vers une “synonymie d’adaptation” ? », Translatio, vol. XXVIII, no 4, p. 206-214.

Shäffner Cristina, Tcaciuc Luciana Sabina, Tesseur Wine, 2014, « Translation practices in political institutions: a comparison of national, supranational, and non-governmental organisations », Perspectives: Studies in Translation Theory and Practice, vol. XXII, no 4, p. 493-510.

Souchier Emmanuël, Candel Étienne, Gomez-Mejia Gustavo, 2019, Le numérique comme écriture : théories et méthodes d’analyse, Malakoff, Armand Colin.

Truchot Claude, 2008, Europe : l’enjeu linguistique, Paris, La Documentation française.

Wagner Anne-Catherine, 2005, Vers une Europe syndicale : une enquête sur la Confédération européenne des syndicats, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant.

Wright Susan, 2018, « The impact of multilingualism on the judgements of the EU Court of Justice », dans F. Prieto Ramos éd., Institutional Translation for International Governance: Enhancing Quality in Multilingual Legal Communication, Londres, Bloomsbury Academic, p. 141-156.

Modalités de soumission

Les auteures et auteurs devront soumettre aux coordinatrices et coordinateur, avant le 1er septembre 2020, un avant-projet (3 000 signes maximum tout compris), dont l’acceptation vaudra encouragement mais non pas engagement de publication. 

Les articles, originaux, devront être adressés aux coordinatrices et coordinateur avant le 10 mars 2021 (maximum 45 000 signes tout compris). Conformément aux règles habituelles de la revue, elles seront préalablement examinées par les coordinatrices et coordinateur du dossier, puis soumises à l’évaluation doublement anonyme de trois lecteurs français ou étrangers de différentes disciplines. Les réponses aux propositions de contributions seront données à leurs auteurs au plus tard à la fin du mois de juin 2021, après délibération du comité éditorial. La version définitive des articles devra être remise aux coordinatrices et coordinateur avant la fin du mois de septembre 2021.

Les textes devront respecter les règles de présentation habituellement appliquées par la revue (voir https://journals.openedition.org/mots/76). Ils devront être accompagnés d’un résumé de cinq lignes et de cinq mots-clés qui, comme le titre de l’article, devront également être traduits en anglais et en espagnol.

Coordinatrices et coordinateur :

Rachele Raus : rachele.raus@unibo.it

Cécile Robert : cecile.robert@sciencespo-lyon.fr

Stefano Vicari : stefano.vicari82@gmail.com

Chloé Gaboriaux : chloe.gaboriaux@sciencespo-lyon.fr

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