RECHERCHER SUR LA POINTE :

Anthony OUEDRAOGO ©Virgal - Virtuose Pictures

Un nouveau prix au Burkina Faso!

Au large

Le Burkina Faso, et plus spécifiquement sa capitale Ouagadougou, est internationalement reconnu pour son dynamisme culturel. L’organisation des grands festivals de cinéma et de théâtre (le Fespaco, les Récréâtrales, Rendez-Vous chez Nous, etc.) attirent annuellement les professionnels de la culture et les amateurs, tout en concourant à la visibilité des acteurs locaux. En parallèle de cette émulation éphémère, on observe tout au long de l’année une activité théâtrale riche: des spectacles sont joués chaque semaine dans au moins un des théâtres ou centres culturels à ciel ouvert de la capitale. Seule la saison des pluies met en pause cette dynamique que les difficiles conditions de production et les défis de représentation rendent encore plus admirables.

On observe tout au long de l’année une activité théâtrale riche.

En effet, pour palier le manque d’une politique culturelle satisfaisante et la quasi absence de fonds structurels pour organiser les activités artistiques, ce sont des acteurs culturels privés qui sont à l’initiative de la majorité des lieux et ce sont les compagnies qui assument les frais de production et de diffusion.

Si la ville compte de nombreux acteurs et actrices dont un nombre croissant se lance également dans la mise en scène, on constate que ce sont souvent des adaptations d’œuvres romanesques qui sont mises en scène ou des désormais «classiques» occidentaux et africains. Récemment, on a ainsi pu voir une adaptation de Salina: les trois exils de Laurent Gaudé, L’Ours de Tchekhov ainsi que Bintou du dramaturge ivoirien Koffi Kwahulé, publié en 2003.

Partant de ce constat, l’Association Culturelle Sylvie Chalaye a initié en 2021 le Prix Prosper KOMPAORÉ pour le théâtre en Afrique, visant à soutenir l’écriture dramatique et la publication de textes de jeunes auteurs africains. Le titre du prix est un hommage à l’un des principaux promoteurs du théâtre burkinabè, enseignant, chercheur et metteur en scène, directeur de la troupe de l’Atelier Théâtre Burkinabè (ATB). L’association, fondée en 2013, défend la promotion et le développement des arts, en organisant notamment des universités d’été. Elle est dénommée d’après Sylvie Chalaye, anthropologue des représentations, spécialiste des dramaturgies afro-contemporaines, qui a énormément œuvré pour la reconnaissance de ces littératures ainsi que pour la mise en visibilité des enjeux de représentation sur nos scènes occidentales (voir en particulier ses ouvrages Race et théâtre. Un impensé politique (Actes sud-papiers, 2020) et Du noir au nègre: l’image du noir au théâtre (L’Harmattan, 1998).

Adressé à des auteur·ices qui n’ont pas encore publié de textes de théâtre, le prix a pour enjeu de sélectionner cinq lauréats dont les textes, après un coaching assuré par des professionnel·les de la littérature, du théâtre et de l’édition, sont publiés et ainsi mis à disposition des compagnies théâtrales contemporaines. La pièce qui obtient le premier prix est également mise en scène et représentée à l’Institut français de Ouagadougou. Enfin, l’ensemble des textes lauréats est lu pendant le festival Les Récréâtrales, dont la prochaine édition aura lieu du 29 octobre au 5 novembre 2022.

Les textes abordent les nombreuses problématiques qui animent le quotidien de leurs auteur·ices.

C’est sous une pluie battante que s’est déroulée la conférence de presse annonçant les lauréats retenus parmi les 45 textes reçus, provenant principalement du Burkina Faso mais également du Bénin, de la Guinée, du Togo et du Cameroun. Entre drames personnels, familiaux, sociaux, sécuritaires, politiques, culturels et environnementaux, les textes abordent les nombreuses problématiques qui animent le quotidien de leurs auteur·ices, rendant compte en particulier de sociétés partagées entre la modernité et les traditions, prises sous l’étau du terrorisme, confrontées aux difficultés économiques et sociales, résistant par la poésie et/ou l’humour.

Palmarès (augmenté d’un sixième texte, coup de cœur du jury) :

  1. Calypso de Anthony OUEDRAOGO
  2. 200 ans mini minimum de Noël MINOUGOU
  3. Si seulement et si de Jean-Baptiste NACANABO
  4. La Lapidation de Sydi YARGA
  5. Les Vautours de Hortense TAPSOBA
  6. Conglomérat de Yeliman Germain OUSSOU (grand coup de cœur du jury)

Quelques mots sur le lauréat et son texte

Anthony Ouedraogo est slameur, actif au sein du collectif Qu’on sonne et Voix-ailes, à l’origine de l’album Siraba et Black Vanila. Il est également comédien de théâtre et de cinéma. À Ouagadougou, il a notamment participé à la création de Jukeboxe Ouagadougou porté par l’Encyclopédie de la Parole, groupe artistique français engagé dans une pratique d’exploration et de mise en représentation de la parole dans sa dimension formelle. L’intérêt de Anthony Ouedraogo pour la langue se manifeste bien dans ses différents champs d’activités. Si Calypso n’est pas son premier texte de théâtre, il sera le premier à être publié.
La pièce est construite autour de deux personnages dans un espace unique et singulier, une maison close. Un client retourne à la maison close, non pas pour une partie de plaisir, mais pour rechercher un objet qu’il y a perdu. S’engage un dialogue vif, surprenant avec la propriétaire des lieux. Au fil de l’échange est dévoilée l’identité des protagonistes: le client est le maire de la ville, la propriétaire son ancienne maitresse. Querelle d’amoureux, sur fond politique, sur fond de vengeance et de chantage. Le maire, lors d’un conseil municipal, a décidé de fermer les maisons closes qui font honte à la morale et à la cité. La propriétaire, amoureuse éconduite, exige l’annulation de cet arrêt en échange de l’objet mystique que recherche le maire et qu’elle détient. Quelle sera l’issue de ce rapport de force entre ces deux protagonistes, tantôt complices, tantôt adversaires?

Fine critique de l’hypocrisie sociale, tant du monde affectif que politique, Calypso montre l’envers de notre société, notamment les rapports primaires de domination masculine, rapports qui brisent l’espoir de maintes jeunes filles et les mettent en marge de la société.


Vous aimerez aussi

À gauche, Daniel Blanga-Gubbay et Dries Douibi, codirecteurs artistiques du Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, et, à droite, Jessie Mill et Martine Dennewald, nouvelles codirectrices artistiques du Festival TransAmériques (FTA) à Montréal | © Bea Borgers et Hamza Abouelouafaa

Diriger un festival: à deux, c’est mieux

Grand Angle