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Atelier de traduction, nos 33-34 Appel à contributions   Écologie et traduction, écologie de la traduction Muguras Constantinescu, Fabio Regattin (dir.) « Translation Studies […] cannot remain immune to the ecological shift in many humanities and social science subjects » (Michael Cronin, 2017). Ce numéro double d’Atelier de traduction se concentrera sur le croisement entre deux conceptsapparemment assez éloignés, la traduction d’un côté et l’écologie de l’autre. Ce dernier terme, en particulier, se prête à confusion, puisque, s’il définit à l’origine la science qui étudie les relations entre les êtres vivants et le milieu dans lequel ils vivent (« écologie scientifique »), il est de plus en plus utilisé pour désigner les différents mouvements qui insistent sur l’importance de la protection de l’environnement (« écologie politique »). Dans les sociétés occidentales contemporaines, ce discours écologique prend de plus en plus d’ampleur, tant dans des espaces physiques que sur la Toile (attention accrue à la pollution par le plastique, aux changements climatiques – Greta Thunberg, mouvement Youth for Climate…), ce qui amène également une polarisation croissante de l’opinion publique (climatoscepticisme, souverainisme environnemental de certains leaders politiques tels que Donald Trump aux États-Unis ou JairBolsonaro au Brésil). Dans un livre récent, Michael Cronin utilise le terme « eco-translation » en référence à « all forms of translation thinking and practice that knowingly engage with the challenges of human-induced environmental change » (2017, p. 2). La traduction et la traductologie ont sans aucun doute un rôle à jouer dans le discours environnementaliste (ou au contraire, comme nous le disions, négationniste). L’attention aux questions environnementales de la part de la traductologie peut être développée le long de plusieurs axes. Cronin cite, entre autres, l’idée d’un ralentissement de l’activité traduisante, en parlant d’un « slow language movement » qui ne serait pas sans rappeler la tendance plus large à un mode de vie moins frénétique – Raúl Ernesto Colón Rodríguez (2015, 2019) parle à ce propos de « traduction lente ». Il est également possible de penser à des formes de traduction activiste (Tymoczko 2010, bien qu’aucun des articles recueillis ne concerne l’écologie ; Carcelén-Estrada 2018) liées à des thèmes environnementaux. Des suggestions intéressantes pourraient venir aussi des études littéraires et notamment du courant de l’écocritique, qui vise à étudier le « rapport entre la littérature et l’environnement naturel. […] L’écocritique amène une approche centrée sur la Terre aux études littéraires » (Glotfelty 1996, traduit dans Blanc et al. 2008, § 3). Une « écocritique de la traduction » est-elle concevable ? Et, si oui, en quels termes ? Il sera enfin possible de se concentrer (mais notre liste n’est évidemment pas exhaustive) sur l’étude de l’argumentation (anti-)environnementaliste en traduction. En réaction au développement de cette riche pensée écologique sur la traduction dans le monde anglophone, des chercheurs francophones tentent de donner leur vision, d’une part, sur la relation entre littérature, art, culture et environnement et, d’autre part, sur la relation entre écologie et traduction. Et pour le faire, ils s’appuient sur les idées de Michel Serres concernant un « contrat naturel », venant à compléter l’ancien contrat social, de Félix Guattari sur une « écosophie », visant à élargir l’écologie au-delà de l’environnemental, au « social » et au « mental », d’Édouard Glissant sur une « symbiose rhizomatique » ou sur celles de Philippe Descola qui dénonce la dualité nature/culture comme une invention de l’Occident et propose une « anthropologie de la nature ». Dans ce panorama fugitif, Glissant mérite peut-être une place à part pour avoir donné voix à une minorité, problème qui préoccupe aussi les penseurs de la traduction écologique. Les chercheurs francophones veulent donc élaborer une réflexion plus appropriée aux spécificités du monde francophone et, plus largement, de l’autre côté de l’Atlantique. Ils hésitent néanmoins à parler d’une « écocritique », terme adapté d’après l’anglophone « ecocriticism » ou d’une « écopoétique », vocable proposé dans l’espace francophone. Cette hésitation est bien visible, par exemple, dans le numéro de la revue Littérature &Politique qui annonce un dossier sur Littérature & écologie : vers une écopoétique, mais dans les articles on évoque pourtant une « écocritique ». Si dans la revue Alternative francophone les auteurs du dossier Nature, environnement et écologie parlent d’« approche écocritique de la littérature francophone », dans son ouvrage Ce qui a lieu, Pierre Schoentjes,  propose un « essai d’écopoétique ». Le chercheur belge justifie son choix terminologique, prend ses distances envers le concept anglophone et tente de donner « un cadre de réflexion à l’étude de la littérature dans ses rapports avec l’environnement naturel » à travers une « écopoétique » car les deux mots anglophones « ecocriticism »  et « green studies » ont, selon lui,  l’inconvénient de favoriser l’idéologie et le militantisme et de ne pas mettre suffisamment l’accent sur la forme et le travail de l’écriture, propres, justement, à la littérature. L’écopoéticien de Gand ne se préoccupe pas particulièrement de la traduction, mais attire l’attention que les nombreuses traductions d’ouvrages à potentiel écologique donnent de l’ouverture et du cosmopolitisme à la littérature française qui l’intéresse dans son ouvrage. En même temps, il s’inquiète du nombre très réduit de traductions des ouvrages anglophones sur écocritique et écologie. Dans le portail « Les humanités environnementales », réunissant un ensemble de disciplines (histoire environnementale et philosophie environnementale, études littéraires et écocritique, études culturelles, anthropologie, art et études visuelles, géographie et écologie politiques, etc.) dont « l’origine tient aux  enjeux environnementaux et climatiques » de notre époque, on privilégie le terme « écocritique ». Qu’on l’appelle écocritique ou écopoétique, cette pensée écologique francophone s’intéresse également aux genres qui lui donnent la forme littéraire, appelés parfois « écogenres », où l’on identifie facilement l’utopie/la dystopie, la robinsonnade, la science-fiction, la postapocalypse, l’idylle, la poésie pastorale, la littérature de voyage, la littérature de jeunesse et qui posent souvent des problèmes de traduction (Constantinescu, 2019a). Une place à part parmi les genres à portée écologique, méritent sans doute les histoires naturelles et les techniques de traduction qu’elles sollicitent ou les figures qu’elles inspirent, si l’on pense au récent ouvrage Histoire naturelle de la traduction de Charles Le Blanc, où la lecture est associée, identifiée presque à la nature. Et si l’on parle de lecture, l’idée d’envisager une « lecture écocritique des traductions » (Constantinescu, 2019b) n’est pas à négliger, car dès qu’il y a texte, il y a, potentiellement, traduction, critique de la traduction et, dans le contexte contemporain, écocritique de la traduction… Mais la traduction peut également être approchée, de façon plus métaphorique, à partir d’une vision écologique plus proche de la première acception du mot écologie, qui considérerait alors les cultures comme des écosystèmes, et leurs produits à l’instar d’êtres vivants se développant, et survivant, dans un environnement donné. Le même Michael Cronin parlait par exemple, dans un ouvrage précédent, de « translation ecology » en faisant référence à la menace de disparition à laquelle sont confrontées des langues mineureset au rôle que la traduction pourrait jouer dans leur survie (2003, p. 165-172). Mais il est possible de faire rentrer dans cette vision une large panoplie de théories qui, reprenant à leur compte des concepts développés en biologie, assimilent les faits culturels aux êtres vivants. Quelques-unes de celles-ci ont été importées de façon plus ou moins accomplie en traductologie aussi : mémétique (Vermeer 1997, Chesterman 2016), eco-translatology (Hu 2003 ; voir Magagnin, à paraître, pour un résumé de cette approche), darwinisme culturel (Regattin 2018). Toutes ces approches partagent un point commun : elles considèrent que les faits culturels « évoluent », au sens darwinien du terme, de façon semblable aux êtres vivants, étant soumis eux aussi à une forme de sélection naturelle. D’autres approches offrent une vision « interne », physiologique dans une certaine mesure, de cette même métaphore : elles ne se concentrent sur la « lutte pour la survie » entre différents faits culturels, mais sur le développement interne de ces mêmes faits. On peut penser à l’usage que Sergey Tyulenev (2012) fait de la sociologie de Niklas Luhmann, ou à l’approche « bio-sémiotique » de Kalevi Kull (2000), sans oublier une notion désormais classique comme celle de « sémiosphère » (Lotman 1999). Une seule question (mais d’autres propositions seront évidemment évaluées), commune à toutes ces approches : quel estle rôle joué par la traduction dans ces systèmes en évolution ? Axes de recherche possibles : Écocritique de la traduction littéraire Écogenres littéraires en traduction Histoire « naturelle » de la traduction Histoires naturelles en traduction Rôle de la traduction dans la mouvance écologique contemporaine (ainsi que dans sa mise en discussion) Traduction « lente », traduction activiste Traduction de textes écologiques, contemporains ou passés Traduction et approches « écologiques » de la langue et de la culture Traduire dans un contexte écologique Traduire les humanités environnementales Références Blanc, Nathalie, Denis Chartier et Thomas Pughe, 2008. « Littérature et écologie : vers une écopoétique », in Écologie et politique n. 36(2), p. 15-28. https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2008-2-page-15.htm Boucher Rutgers, James, Laborde, Cynthia, « Nature, environnement et écologie : pour une approche écocritique de la littérature francophone » in Alternative Francophone vol. 2, 4(2019) : 1-5 http://ejournals.library.ualberta.ca/index.php/af 2 Carcelén-Estrada, Antonia, 2018. « Translation and activism », in Fernández, Fruela, et Jonathan Evans (eds.), The Routledge Handbook of Translation and Politics, London, Routledge, p.253-269. Chesterman, Andrew, 2016. The Memes of Translation. The Spread of Ideas in Translation Theory (revised edition), Amsterdam-Philadelphia, John Benjamins. Colón Rodríguez, Raúl Ernesto, 2015. « Traduction lente et traduction et traduction collaborative activiste au XIXe siècle », in Mathieu Guidère (dir.), Traduction et géopolitique, Paris, L’Harmattan, p. 101-125. Colón Rodríguez, Raúl Ernesto, 2019. « A complex and transdisciplinary approach to slow collaborative activist translation », in Marais, Kobus, et ReineMeylaerts (eds.), Complexity Thinking in Translation Studies, London, Routledge, p. 152-179. Constantinescu, 2019a, « Traduire l’enfant et l’arbre », Palimpsestes,32,  p. 126-137 Constantinescu, 2019b, à paraître, « Traduction et éducation vertes pour les enfants », Equivalences,46. Cronin, Michael, 2003. Translation and Globalisation, London, Routledge. Cronin, Michael, 2017.Eco-translation. Translation and Ecology in the Age of the Anthropocene, London, Routledge. Defraeye, Julien, Lepage, Élise (sous la direction), 2019, « Approches écopoétiques des littératures française et québécoise de l’extrême contemporain » in Études littéraires, vol. 48,3, p. 7-20. http://www.etudes-litteraires.ulaval.ca/approches-ecopoetiques-des-litteratures-francaise-et-quebecoise-de-lextreme-contemporain/ Descola, Philippe, [2005], 2015, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, coll. Folio essais. Glissant, Edouard, (1996), Introduction à une poétique du Divers , Paris, Gallimard, Paris.  Guattari, Félix (2013), Qu'est-ce que l'écosophie ?, Paris, Éditions. Glotfelty, Cheryll, 1996. « Introduction: literary studies in an age of environmental crisis », in Glotfelty, Cheryll, et Harold Fromm (eds.), The Ecocriticism Reader. Landmarks in Literary Ecology, Athens-London, University of Georgia Press, p. xv-xxxvii. Hu, Gengshen, 2003. « Translation as adaptation and selection », in Perspectives – Studies in Translatology n. 11(4), p. 283-291. 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Translation, Resistance, Activism, Amherst-Boston, University of Massachusetts Press. Tyulenev, Sergey, 2012.Applying Luhmann to Translation Studies. Translation in Society, London-New York, Routledge. Vermeer, Hans J., 1997. « Translation and the ‘meme’ », in Target n. 9(1), p. 155-166. CONTRIBUTIONS Les contributions sur cette thématique seront incluses dans la rubrique Dossier. Vous pouvez également proposer des contributions pour les sections suivantes : → Articles : section ouverte à toute contribution portant sur la pratico-théorie de la traduction. Tout en privilégiant la traduction littéraire, la rubrique reste ouverte à des analyses concernant la traduction pragmatique, la problématique de la terminologie, la question de l’interprétariat ou la traduction audio-visuelle. → Portraits de traducteurs/ traductrices / traductologues qui ont marqué l’histoire de la traduction à travers différents espaces culturels. → Relectures traductologiques porte sur un ou plusieurs ouvrages de traductologie qui par leur contribution au développement de la traductologie, au sens large du terme, mérite une nouvelle lecture. → Chroniques et comptes rendus critiques d’ouvrages récemment parus, traitant de la traduction (actes des colloques, dictionnaires, ouvrages collectifs, ouvrages d’auteur, etc.) ainsi que des comptes rendus de congrès et colloques. Ces numéros seront coordonnés par les professeurs Muguras Constantinescu de l’Université Stefan cel Mare de Suceava, Roumanie et Fabio Regattin, de l’Université d’Udine d’Italie : Vous êtes priés d’envoyer les articles jusqu’au  premier mars 2020 aux adresses suivantes : fabio.regattin@uniud.it mugurasc@gmail.com imira5@yahoo.com chibiciana@yahoo.com Pour d’autres informations pratiques, nous vous invitons à consulter le site de la revue : http://www.usv.ro/atelierdetraduction RESPONSABLE : Muguraş Constantinescu URL DE RÉFÉRENCE http://www.usv.ro/atelierdetraduction/ ADRESSE Université Ştefan cel Mare Suceava, Roumanie CONSEILS AUX AUTEURS POUR LA PRÉSENTATION DES TEXTES L’article sera envoyé par courriel dans un fichier Word (.doc) attaché qui portera le nom de l’auteur. L’article aura entre 30 000 et 35 000 signes (espaces y compris) et sera rédigé en français. Le titre sera écrit en lettres majuscules et centré. Le prénom et le nom de l’auteur seront alignés à droite. 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Les citations et les exemples dans le texte ne dépasseront pas trois lignes et seront mis entre guillemets à la française (« ... »). Les citations et les exemples qui excèdent trois lignes seront mis en retrait et en caractères de 11 pt, sans guillemets. Toutes les citations dans une langue autre que le français seront traduites en notes de bas de page. La bibliographie sera placée en fin d’article et sera rédigée selon le modèle suivant : Delisle, Jean (2003) : La traduction raisonnée : manuel d’initiation à la traduction professionnelle de l’anglais vers le français. 2e éd. Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.