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Traduire en archipel(s) : circulations, fluidité, entraves dans la création caribéenne (Tours)

Traduire en archipel(s) : circulations, fluidité, entraves dans la création caribéenne (Tours)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Cécile Chapon)

Traduire en archipel(s) : circulations, fluidité, entraves dans la création caribéenne

 Journées d’études 
Universités de Tours et d’Orléans
22-23 Juin 2023
Lieu : MSH Val de Loire (Tours)

Comité d’organisation : Cécile Chapon (Université de Tours – ICD) ; Kerry-Jane Wallart (Université d’Orléans – REMELICE) ; Giuseppe Sofo (Université Ca’Foscari de Venise).

Ces journées d’études ont pour ambition de penser la traduction et la circulation entre les langues depuis le contexte caribéen. Il s’agira d’envisager la traduction à la fois dans sa dimension la plus concrète, comme pratique d’abord, mais aussi comme politique éditoriale révélatrice de certaines reconfigurations des champs littéraires, et dans une dimension plus théorique, comme pensée de l’altérité et comme processus de création littéraire.

La Caraïbe apparaît en effet, par sa diversité linguistique autant que par les langues d’écriture qui lui manquent – langues amérindiennes disparues, variantes créoles non codifiées –, comme un laboratoire pour penser la nécessité et les limites de l’acte de traduire. Le rapport entre les langues écrites, parlées et traduites reflète les violences sociohistoriques, qui vont de l’insécurité linguistique liée aux situations de diglossie à l’un des plus terribles exemples de schibboleth, le « Massacre du persil » en République dominicaine en 1937 ; mais ce rapport est aussi source inépuisable de créativité et socle d’une pensée de la diversité, insufflant une poétique caribéenne « tramant à travers les langues », selon l’expression d’Édouard Glissant dans Introduction à une poétique du divers (1996).

La réflexion collective pourra porter plus particulièrement sur les axes suivants :

-       Stratégies et pratiques : la traduction des textes caribéens pose de nombreux problèmes qu’il s’agira de circonscrire et d’approfondir : textes multilingues, jeux internes de traduction entre français/anglais et créole, travail sur l’oralisation de la langue, mais aussi données culturelles et langagières éloignées du contexte de réception des textes traduits. Comment rendre compte des spécificités culturelles et de la syntaxe créolisée pour un lectorat souvent exogène sans forcément recourir à un appareil de notes ou à un glossaire ? Jusqu’où peut-on et doit-on revendiquer la défamiliarisation ou, au contraire, le lissage du texte source ? En quoi les difficultés pratiques posées par la traduction des textes caribéens engagent-elles à penser et théoriser autrement la traduction ? Comment le travail sur les archives de traducteurs ou la génétique de la traduction permet-il de mettre au jour l’épaisseur et la complexité de la “tâche du traducteur”?

-       Circulations ou circularités éditoriales : quelles sont les politiques éditoriales, culturelles et éducatives mises en place au sein de la Caraïbe pour faciliter les passages entre les langues ? dans quelle mesure les pratiques éditoriales telles que les éditions bilingues, trilingues ou même quadrilingues, ou les anthologies, donnent-elles une meilleure visibilité aux auteurs/autrices ou renforcent-elles une poétique régionale ? dans quelle mesure les circulations éditoriales – et donc les choix des textes à traduire et des façons de traduire – restent-elles aussi tournées vers les grands pôles éditoriaux européens ?

-       Histoires (in)traduisibles : loin d’être seulement un gage irénique d’intercompréhension entre les peuples, la traduction est historiquement essentielle dans les processus de conquête, d’appropriation des savoirs et des territoires, mais aussi, paradoxalement, d’oppression des langues locales. La Caraïbe, au carrefour de multiples histoires et de métissages divers, est un lieu particulièrement propice pour penser ce rapport entre traduction et violence (T. Samoyault, 2020). Ainsi, comment sont représentées dans les textes littéraires et les productions artistiques ces histoires faites d’erreurs de traduction, d’invisibilisation des langues autochtones, des langues des esclaves puis des travailleurs forcés ? Peut-on traduire l’absence d’une langue ? L’intraduisible devient-il une zone de résistance ?

-       Traduction et création littéraire : les textes caribéens révèlent un usage particulièrement créatif du passage entre les langues : jeux internes d’auto-traduction, jeux sur les traductions erronées qui prétendent éclairer le lecteur, échos sonores entre les langues en poésie etc. Il s’agira alors d’envisager les rapports entre traduction et création, à partir de ces multiples avatars d’une création plurilingue qui oscillent sans cesse entre fluidité et opacité et qui constituent autant de défis pour…les traducteurs et traductrices. Quelle est au juste la portée de l’affirmation souvent répétée d’Édouard Glissant, selon laquelle « nous écrivons en présence de toutes les langues du monde », pour penser la création littéraire à partir du phénomène de traduction ? 

-       Zones de traduction : ce dernier axe permettra de mener un travail théorique sur la traduction au sens large, à partir de « zones » spécifiques : zone de frontière historique et linguistique (entre Haïti et la République dominicaine notamment) ; zone du paratexte (notes, glossaires, marges…) ; zone de fracture symbolique du paysage (entre l’espace de la plantation et l’espace de la forêt) ; zone hors du langage humain (comment traduire le langage des morts, des autres êtres vivants, des éléments…).

Ces journées se veulent aussi un espace d’expérimentation concrète autour de la traduction et de diffusion des initiatives autour de la traduction des textes caribéens : elles intégreront ainsi un atelier de traduction et une table-ronde autour des expériences collectives ou individuelles de traduction. Les participant.e.s sont également libres de proposer des ateliers pratiques de traduction créative. 
N.B : Ces journées d’études constitueront le pendant et la continuation d’une autre manifestation scientifique centrée sur la traduction des auteurs caribéens francophones, organisée par Giuseppe Sofo à l’Université Ca’Foscari de Venise au printemps 2023. 

Les frais de déplacement pour les jeunes chercheurs non financés  pourront être pris en charge au moins partiellement.

Les propositions de communication d’environ 500 mots en langue française, anglaise ou espagnole, assorties d’une brève biobibliographie, sont à envoyer à cecile.chapon@univ-tours.fr et kerry-jane.wallart@univ-orleans.fr avant le 10 décembre 2022



Bibliographie indicative

Apter, Emily, Zones de traduction: pour une nouvelle littérature comparée [The Translation Zone: a New Comparative Literature, 2006], trad. Hélène Quiniou, Paris, Fayard, 2015.

Carbonell i Cortés, Ovidi, Traducir al otro: traducción, exotismo, poscolonialismo, Universidad de Castilla la Mancha, 1997.

Derrida, Jacques, “Traditions, transferts, traductions” [discours d’ouverture du colloque de 1985 au Collège International de Philosophie], Traduire Derrida aujourd’hui, revue ITER, n°2, 2020.

Glissant, Édouard, Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, 1996.

Glissant, Édouard, L’Imaginaire des langues. Entretiens avec Lise Gauvin, 1991-2009, Paris, Gallimard, 2009. 

Harris, Wilson, The Womb of Space: The Cross-Cultural Imagination, Greenwood Press, 1985.

Raguet-Bouvart, Christine (dir.), “Traduire la littérature des Caraïbes”, Palimpsestes, n°12, 2000.

Saint-Loubert, Laëtitia, The Caribbean in Translation: Remapping Thresholds of Dislocation, Peter Lang, 2020. 

Samoyault, Tiphaine, Traduction et violence, Paris, Seuil, 2020.

Stampfli, Anaïs, La coprésence de langues dans le roman antillais contemporain, Peter Lang, 2020. 

Stephanides, Stephanos et Bassnett, Susan,  « Islands, Literature, and Cultural Translatability », Transtext(e)s Transcultures 跨文本跨文化, Hors série | 2008, 5-21.