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Ecoute, Espionnage : ce que met en évidence l’affaire « Pegasus ».

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De l’Inde au Mexique, en passant par le Maroc, Israël, les USA ou la France, « Pegasus » est l’affaire 2021 de cyber espionnage, qui fait réagir à la fois les États, mais aussi les opposants, journalistes, chefs d’entreprises et avocats. Légal ou illégal, que cache un tel déploiement de moyens ? Faut-il s’offusquer ou, au contraire, dénoncer l’hypocrisie générale en matière de renseignement ?  

 

Que cache un tel déploiement de moyens ?

Ce qui est recherché, c’est le renseignement. Un renseignement est une information estimée pour sa valeur et sa pertinence.

L’information est stratégique. Celui qui a l’information domine le monde, et ce qui est valable pour le monde économique l’est également au niveau militaire. Il n’y a plus de frontière entre ces deux univers. Le nombre de décisions que nous prenons chaque jour est dicté par des données et des faits. Comment être certain d’agir justement ?  Grâce au renseignement. Capter la bonne information au bon moment permet donc d’agir et d’obtenir un avantage sur ses adversaires ou concurrents.

« Une armée sans agents secrets est un homme sans yeux ni oreilles », Sun TzuL’Art de la guerre, vie siècle av. J.-C.

 

  1. Différence entre intelligence économique et espionnage.

L’intelligence économique (IE), est la compréhension de sa situation dans un environnement complexe et hyperconcurrentiel. Elle s’appuie sur 3 piliers : la veille, la sécurité économique, l’influence et le lobbying. Le spectre est en vérité bien plus large et transversal, et ce dans l’ensemble des organisations. Elle touche aussi bien les services RH, R&D, juridique, commercial, communication… Cependant, l’IE se différencie de l’espionnage par son caractère légal, surtout en matière de veille. On opère à partir de « sources ouvertes » (légales) et, si toutes les entreprises avaient conscience des possibilités que confère l’intelligence économique, elles ne se priveraient pas d’y aller « à fond » et donc légalement. En effet, quand les marges de progressions sont minces pour tout le monde et dans tous les secteurs économiques, prendre l’avantage est l’objectif recherché par les directions générales. Dans le jargon, on parle de « gris » et de « noir » pour tout ce qui sort du cadre légal. Par contre, ce n’est pas parce que c’est répréhensible, que cela n’existe pas… et par conséquent, que vos concurrents (États, organisations, ou entreprises) ne vont pas franchir la ligne blanche. Donc, en connaissances de causes, il est du devoir des structures et des États de s’en protéger.

  1.  
  2. Quels avantages à obtenir la bonne information ?

                        – Avantage concurrentiel :

Capter l’information pour mettre en place les leviers d’actions permettant de dominer le marché. Innovation produit ou service, communiquer avant l’autre, se démarquer, démarcher avant les concurrents, arriver le premier sur un marché… autant d’éléments qui sollicitent plusieurs compétences en interne, et qui vont permettre d’être en meilleur position que l’autre, pour acheter, vendre, négocier, entrer en relation d’affaires… Le but ultime est de gagner. Ce qui veut dire qu’il y a forcément un perdant. Ce dernier, frustré d’avoir perdu, peut donc chercher à reprendre l’avantage, ou bien à déstabiliser son adversaire à son tour. A ce jeu-là, on ne gagne pas tout le temps.  D’où l’idée de ne pas être statique, dans un environnement dynamique. La veille est un point clé, pour toute entreprise désireuse d’être à l’initiative sur son marché, ou stratégiquement, d’être un « suiveur volontaire », car parfois, cela s’avère être la meilleure solution.

 

                        – Savoir si on est dans le vrai :

L’environnement évolue sans cesse. Pour garder le cap en pleine tempête, les organisations se fixent des objectifs et se donnent les moyens de les atteindre. Capter l’information permet ainsi de connaître les tendances du marché. Mon organisation est-elle en avance ? en retard ? pourquoi ? qui réussit mieux et pourquoi ? Les données, les éléments récupérés, s’ils sont fiables, permettent ainsi à la structure de s’orienter face aux éléments, comme le ferait un capitaine de bateau dans le brouillard ou bien un chef d’entreprise en pleine crise : il utilise les moyens à sa disposition (indicateurs de bords) lui permettant de s’orienter au mieux en attendant d’y voir plus clair.

 

                        – Ecouter les bruits :

Le marché n’est par définition pas immobile. Donc la veille permet d’écouter, comprendre et se positionner par rapport à des opportunités ou des menaces qui se présentent sur le marché. L’anticipation est le maître mot. En tant que dirigeant d’un pays ou chef d’entreprise, la position d’aujourd’hui n’est peut-être pas celle de demain. Où aller ? Pourquoi y aller ? Comment y aller ? Identifier les risques, peser le pour et le contre, permet au dirigeant de n’importe quelle structure de choisir son champ de bataille, et de préparer son développement.

 

                        – Etre un prédateur :

Le simple fait d’avoir été pro-actif (avoir la bonne information au bon moment) permet d’agir précisément, rapidement et efficacement sur les cibles identifiées dans la phase de veille. J’ai donc plus de chance de remporter « la bataille ». En cette période de crise, seules les entreprises les plus fortes ou opportunistes peuvent se prévaloir de racheter d’autres entreprises plus faibles. Mettre la main sur un outil de production, un savoir-faire, une notoriété, marque, histoire, des qualifications donne l’ascendant sur le marché. La veille permet de passer du mode « acteur » au mode « prédateur ». Je deviens alors un acteur plus important sur la scène politique et ou économique. Plus fort qu’avant, de nouvelles opportunités s’offrent à moi (parfois même sans combattre). Le simple fait d’être imposant ou incontournable sur un marché offre une position dominante qui sert mon organisation et la fait rayonner. (Exemple : l’influence et le poids des Gafa sur internet).

 

Pourquoi il ne sert à rien de s’étonner : « Pegasus » un secret de Polichinelle.

Lisez « Histoire mondiale de la guerre économique » d’Ali Laïdi, et vous comprendrez que l’espionnage remonte au temps de la préhistoire. «L’homme se sédentarise grâce à l’élevage et à l’agriculture. Il s’approprie des terrains, en marque les frontières et les protège contre ceux qui lui en contestent la propriété. On part en guerre pour piller les richesses agricoles, ou prendre possession de son territoire. C’est une guerre pour le blé et bientôt pour le fer

Pour s’alimenter et ainsi survivre (voir les travaux sur les besoins primaires de la pyramide de Maslow), prendre le pouvoir et le conserver, prendre l’avantage politique, économique,  depuis toujours les Hommes ont utilisé les mêmes moyens.

  1. Tout le monde sait qui opère.

     Tous les pays, même les plus petits et ceux qui ont l’air le plus innocent, cherchent d’abord à se protéger d’attaques de la part de pays plus « gros », « gourmands », frontaliers. Ensuite, parce que parfois la meilleure défense est l’attaque, alors des actions plus offensives peuvent compléter le dispositif défensif. Le mix défensif/offensif est obligatoire pour survivre dans un monde économique complexe et incertain. La géopolitique est passionnante mais aucune certitude n’existe. 

  1. Les entreprises se protègent.

    Conscientes des dangers que représentent certaines entreprises (qui cachent parfois des velléités de certains Etats), d’autres sont dans l’obligation de se protéger. Ainsi la grande majorité des entreprises du CAC 40 et du SBF 120 (les plus importantes entreprises françaises cotées en bourse) ont appris à développer leur culture de la protection et de l’attaque. Les directeurs Sécurité/Sûreté sont majoritairement issus des rangs de la police, de la gendarmerie, de l’armée, ou des services de renseignements. Les adversaires disposant des mêmes hommes, aux mêmes postes, il n’est pas étonnant donc, de retrouver des actions sortant du cadre légal.

  1. Pégasus est un faux scoop !

    Le scoop, c’est que l’affaire a été découverte et révélée (volontairement ? ). Les écoutes de téléphones de président(e)s dans le monde ont déjà fait scandale, il y a plusieurs années, et de nombreux autres actes, beaucoup plus horribles, ont été commis. Faut-il rappeler les affaires d’empoisonnement d’agents ou dissidents, en 2018 de Serguei Skripal, d’Alexeï Navalny en 2020, ou le découpage du corps de Jamal Khashoggi en 2018 au sein d’une ambassade ? Comme le précise cette phrase connue dans le monde du renseignement et de l’intelligence économique, « nous n’avons pas d’amis, ni d’ennemis, nous n’avons que des partenaires aux intérêts changeants ». Pour illustrer ce propos, en juillet dernier, le général Eric Bucquet, directeur de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), rappelle « que la France est dans une guerre économique permanente menée par des services de renseignement étrangers très offensifs et capables de recourir à tous les moyens. »

Tout est dit ! Arrêtons de crier au loup. L’affaire Pegasus est certes dommageable, mais c’est un risque qui est connu depuis longtemps, à nous donc de nous en protéger le mieux possible.

Si depuis le début de l’humanité, les actions pour s’accaparer le pouvoir quel qu’il soit, se sont multipliées, pourquoi cesseraient-elles du jour au lendemain ? Le monde est infiniment plus complexe, et les enjeux encore plus importants. Cela ne s’arrêtera jamais. C’est comme jouer au chat et à la souris, au gendarme et au voleur, sauf que selon la situation, pour exister et ne pas se faire manger, il faut savoir défendre et attaquer.

Une agilité qui devient donc un savoir-être nécessaire pour les entreprises. La guerre n’est pas que militaire, elle est également économique.

 

 

Article sur la reconversion d’anciens militaires dans le privé –   mars 2011 Sécurité et stratégie

https://www.securite-strategie.fr/Enquete-Profils-et-trajectoires.html

« Histoire mondiale de la guerre économique » d’Ali Laïdi p 23/24 éditions  Perrin Février 2020

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/nous-sommes-dans-la-guerre-economique-general-eric-bucquet-directeur-de-la-drsd-888386.html

Alexei Navalny _ 19 aout  2021

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/19/alexei-navalny-la-corruption-doit-etre-le-principal-sujet-des-sommets-internationaux_6091830_3232.html  

Empoisonnement à l’arme chimique – 3 septembre 2020

https://www.lexpress.fr/actualite/monde/le-novitchok-une-redoutable-arme-chimique-au-coeur-de-l-empoisonnement-de-navalny_2133999.html 

Ecoutes de Présidents – 25 octobre 2013 

https://www.france24.com/fr/20131025-espionnage-ecoutes-nsa-scandale-ue-merkel-hollande-letta

Affaire Khashoggi – Cnews 21/12/2018

https://www.cnews.fr/monde/2018-10-26/jamal-khashoggi-aurait-ete-decoupe-vivant-par-un-medecin-qui-ecoutait-de-la-musique

 

<<< À lire également : iVerify permet de détecter la présence de Pegasus >>>

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