Les Français bientôt invités à se prononcer sur une « refonte totale » de l’hôpital public ? Émanation des collectifs Inter-Hôpitaux et Inter-Urgences, l’association Notre hôpital, c’est vous lance une procédure de référendum d’initiative partagée (RIP) visant l’adoption d’une proposition de loi « pour garantir un accès universel à un service public hospitalier de qualité ».

Le RIP permet d’imposer à l’examen parlementaire un texte présenté par au moins un cinquième des députés et sénateurs, soit 185 parlementaires, et soutenu par un dixième du corps électoral, soit 4 717 396 personnes. Au 3 juin, 134 parlementaires avaient déjà donné leur « accord de principe », selon Matthieu Lafaurie, infectiologue à l’hôpital Saint-Louis et porte-parole de l’association Notre hôpital, c’est vous. Un site Internet dédié récolte les promesses de signature des citoyens.

« Il y a une vraie opportunité de prendre le relais des applaudissements de soignants les soirs d’épidémie et de prolonger dans un référendum ce vrai soutien à l’hôpital public », annonce dans La Croix Matthieu Lafaurie. Inspiré par les préconisations formulées récemment par le Conseil économique, social et environnemental (Cese), le texte vise à stopper la « paupérisation constante » d’un « service public emblématique » affecté d’une « triple crise » humaine, financière et démocratique. Les « trois piliers » que les initiateurs du RIP veulent réformer.

« L’hôpital est dans un état désastreux »

Sur les moyens humains, la proposition de loi impose, pour chaque spécialité et type d’activité de soin, un « ratio minimal » de soignants par lits ouverts ou nombre de passages pour les activités ambulatoires. Les conseils territoriaux de santé (CTS) seraient par ailleurs désormais chargés, une fois par an au moins, de déterminer les besoins en lits et recrutements sur leurs territoires.

« Ça fait deux ans que nous sommes mobilisés sur le sujet et le Ségur n’a absolument pas répondu à nos attentes, déplore Noémie Banes, présidente du collectif Inter-Urgences et membre fondatrice de Notre hôpital, c’est vous. Après un an de crise sanitaire, l’hôpital est dans un état désastreux : de nombreux soignants nous quittent et il manque des lits, dans un contexte toujours soumis à des impératifs d’économie. La mobilisation dans la rue ne suffit plus : le RIP permet de donner la parole à des citoyens ; parole que l’État ne pourra ignorer. »

« Changer profondément de logiciel »

Côté finances, l’objectif est de substituer à l’approche par « la compétitivité et la rentabilité économiques » celle par « la pertinence des soins ». Et pour contrecarrer le « dévoiement de la tarification à l’activité (T2A) », la proposition de loi pose notamment un principe strict : « Le financement d’un établissement de santé lié à la T2A ne doit pas être supérieur à la moitié de ses revenus. »

Sur le volet démocratique, le RIP renforce le poids des commissions des usagers (CDU) et commissions médicales d’établissements (CME) dans les prises de décisions de chaque établissement hospitalier. « Il faut changer profondément de logiciel, et repartir des besoins de santé dans les territoires en associant aux décisions les citoyens, les élus et l’ensemble des acteurs de santé, défend le sénateur (apparenté PS) Bernard Jomier. C’est un changement de paradigme des questions de santé qui répond aux constats de la crise sanitaire. » Ce médecin généraliste compte parmi les parlementaires déjà engagés en faveur d’un « texte assez révolutionnaire, qui place la question de l’hôpital public au cœur du débat ».

Si la proposition de loi récolte le soutien de 185 parlementaires, le texte sera ensuite examiné par le Conseil constitutionnel, qui vérifiera notamment qu’il porte bien sur l’un des domaines visés par l’article 11 de la Constitution. « La proposition de loi s’inscrit expressément dans la politique sociale de la France, en garantissant l’accès à tous à l’hôpital public et à la santé, donc dans l’un des champs de la procédure de RIP », analyse le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier.

Après l’aval du Conseil constitutionnel, une période de neuf mois s’ouvrirait pour convaincre 10 % au moins du corps électoral d’imposer le texte en discussion au Parlement. À défaut d’examen à l’Assemblée nationale et au Sénat dans un délai de six mois, le président de la République serait tenu d’organiser un référendum.

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Le RIP, un dispositif jamais concrétisé

Introduit par la révision constitutionnelle de 2008, le référendum d’initiative partagée (RIP) n’a jamais abouti depuis 2015, date de sa mise en application.

Une seule fois, le dispositif est allé jusqu’au recueil des signatures citoyennes, sur la privatisation des Aéroports de Paris (ADP). 1,09 million de soutiens avaient été recueillis en mars 2020, loin des 4,7 millions nécessaires.

D’autres propositions n’ont même pas passé l’écueil des 185 parrainages parlementaires, comme sur le bien-être animal en 2020.

Début 2019, un groupe de travail au Sénat, chargé de rendre « plus praticable » le dispositif, avait envisagé un abaissement du seuil des citoyens requis à deux millions, mais les réflexions n’ont pas été concrétisées.