Crise de l’énergie : pourquoi l’année 2023 sera encore plus critique pour l'Europe

En mars prochain, lorsque l’hiver sera passé, la crise gazière qui secoue aujourd’hui le Vieux continent paraîtra probablement bien loin. Et pourtant, le pire restera à venir, avertit l’Agence internationale de l’énergie dans un nouveau rapport publié ce lundi. Car l'Union européenne risquera alors de faire face à un déficit potentiel de près de 30 milliards de mètres cubes de gaz naturel, soit plus de 6,5% de sa consommation totale en 2021. Explications.
Marine Godelier
(Crédits : DADO RUVIC)

Alors que les températures chutent sur le Vieux continent, les inquiétudes se cristallisent autour d'éventuelles pénuries de gaz ou d'électricité lors des prochaines semaines, tant la demande grimpe pour se chauffer. Et pourtant, la fin de l'hiver 2022-2023 ne signera pas l'épilogue de la crise de l'énergie. A l'inverse, le pire sera même à venir si les Vingt-Sept ne redoublent pas d'effort pour inverser la tendance. De quoi menacer la survie de l'industrie européenne et augmenter la pression sur les ménages l'année prochaine.

C'est le principal message du nouveau rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) intitulé « Eviter les pénuries de gaz en Europe », publié ce lundi. Car l'UE sera « confrontée à un déficit potentiel de près de 30 milliards de mètres cubes de gaz naturel en 2023 », selon les calculs de l'organisation - soit plus de 6,5% de sa consommation totale en 2021 (412 milliards de mètres cube). Un « grave écart » entre l'offre et la demande, qui risque de se produire si les importations par pipeline depuis la Russie tombent à zéro en 2023, et que la demande de gaz naturel liquéfié (GNL) par la Chine rebondit au niveau de 2021.

Un manque cruel de capacités de production de GNL

En effet, dans ce scénario, l'Europe ne pourra plus du tout compter sur les livraisons en provenance du pays dirigé par Vladimir Poutine pour reconstituer ses stocks avant l'hiver prochain, comme elle l'a fait cette année malgré la guerre en Ukraine. « En 2021, les exportations russes de gaz vers l'UE se sont élevées à 140 milliards de mètres cubes (mmc). Elles sont passée à 60 mmc en 2022, et il est probable qu'en 2023, il n'y ait plus de gaz russe dans nos systèmes », a ainsi prévenu lundi le directeur exécutif de l'AIE, Fatih Birol, à l'occasion d'une conférence de presse à Bruxelles, aux côtés de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Ce qui « laisserait un trou encore plus important dans l'approvisionnement en gaz européen et mondial », avertit l'AIE dans son rapport.

La situation ne serait pas si grave dans le cas où des volumes équivalents de gaz étaient disponible ailleurs, afin de remplacer celui de Gazprom. Seulement voilà : « la quantité de nouvelles capacités énergétiques est extrêmement faible », a alerté lundi Fatih Birol. Certes, les pays européens renforcent actuellement leurs capacités d'importation de gaz naturel liquéfié, acheminé par bateaux des quatre coins du monde plutôt que par gazoduc. Celles-ci devraient même atteindre « autour de 40 mmc » supplémentaires d'ici à fin 2023, grâce à la construction de nouveaux terminaux méthaniers, qui regazéifient le précieux GNL à son arrivée sur les côtes. Mais alors que de nombreux pays sur le globe se battent pour l'accès à ce fameux hydrocarbures, lesdits terminaux risquent bien de ne pas tourner à plein. Car seulement environ 20 mmc d'approvisionnement supplémentaire en GNL devraient arriver sur le marché au cours de l'année, souligne l'AIE, malgré les projets de développement aux Etats-Unis ou au Qatar.

« On n'a jamais atteint des niveaux aussi faibles », s'est ainsi alarmé lundi Fatih Birol.

En mai déjà, le cabinet d'analyse Rystad Energy avertissait qu'une « crise majeure » d'approvisionnement en gaz naturel liquéfié se profilait, et durerait jusqu'en 2024 au moins, du fait d'un « déséquilibre structurel » entre l'offre et la demande sur le marché mondial. Mardi, un rapport réalisé par le Shift Project pour le ministère des Armées allait dans le même sens, en affirmant qu'en cas d'arrêt prolongé des approvisionnements russes en gaz, c'est « 40 % de la demande européenne qu'il resterait à trouver en 2025 ». Le lendemain, le cabinet Wood Mackenzie en remettait une couche, et signalait que le bras-de-fer avec l'Asie pour s'arracher les cargaisons de GNL s'intensifierait en 2023.

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Concurrence acharnée avec la Chine

De fait, la Chine risque de s'accaparer une grande partie de ces volumes, déjà insuffisants pour alimenter l'Europe - laquelle prive déjà de GNL des pays moins développés afin de remplacer le gaz russe, comme le Pakistan ou le Bangladesh. Et pour cause, en 2023, la demande de ce précieux gaz par Pékin « pourrait bien se remettre des niveaux inhabituellement bas observés en 2022 » liés notamment à la politique anti-Covid de Pékin, note l'AIE dans son nouveau rapport.

Or, la capacité de l'Europe à garantir une augmentation des importations de GNL cette année afin de reconstituer ses stocks de gaz, remplis à près de 90% aujourd'hui, « a été rendue possible en grande partie par la baisse de la demande d'importation en provenance de Chine », rappelle l'AIE. A cela s'ajoute le fait que la Chine est mieux positionnée sur les contrats de long terme, puisque ses besoins sont couverts à 100% à l'horizon 2025, contrairement à l'Europe, bien obligée de se tourner vers le marché au jour le jour et les contrats de court terme depuis l'invasion de l'Ukraine.

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Enfin, un troisième paramètre pourrait encore aggraver la crise l'an prochain : « les températures anormalement douces observées [dans l'UE] au début de l'hiver risquent de ne pas durer », note l'AIE. De fait, plus le thermostat chute, plus la consommation de chauffage, et donc de gaz, augmente. Sur ce point, l'Europe a été plutôt chanceuse cette année : le temps doux qu'elle a enregistré à l'automne 2022 a permis de réduire la demande de gaz de plus de 10 mmc, selon l'AIE. Or, « il n'y a aucune garantie que les températures seront aussi clémentes pour le reste de l'hiver, ou pour 2023 dans son ensemble », signale l'organisation. Qui dit baisse de l'offre et hausse de la demande, dit aggravation de la crise.

Injecter 100 milliards d'euros

Pour éviter ce scénario catastrophe, l'AIE recommande ainsi à l'UE d'injecter 100 milliards d'euros supplémentaires d'argent public, afin de déployer cinq « actions clés ». Un montant qui sera « remboursé en deux ans grâce aux économies de gaz qu'il permettra de réaliser », a défendu lundi Fatih Birol, et qui représente « moins d'un tiers des 330 milliards d'euros qui ont été mobilisés par les Etats membres au cours de l'année dernière sous forme de plans d'urgence pour protéger les consommateurs des prix élevés ». Sans l'action déjà mise en œuvre cette année, le déficit potentiel en 2023 s'élèverait d'ailleurs à 60 mmc au lieu d'une trentaine, selon l'AIE.

Concrètement, les 100 milliards en question devraient pousser à accélérer les mesures d'efficacité énergétique, notamment de rénovation thermique ou de remplacement des éclairages vers des LED, et d'inciter à la généralisation des pompes à chaleur pour chauffer les bâtiments. Par ailleurs, il s'agirait, comme le prévoit déjà le plan européen REPowerEU, de passer la seconde sur le déploiement des énergies renouvelables, mais aussi de « révolutionner les comportements des consommateurs » afin qu'ils consomment plus intelligemment. Autant d'outils « qui permettront d'économiser rapidement et simplement du gaz », a fait valoir Fatih Birol.

Reste que l'Europe aura toujours besoin en quantités considérables de ce précieux hydrocarbure, afin de faire tourner ses industries et alimenter ses ménages. Dans ces conditions, plusieurs parties prenantes travaillent déjà, dans l'ombre, à la consolidation des relations entre l'UE et ses fournisseurs de gaz. Mi-septembre, les régulateurs européens de l'énergie (ACER) se sont ainsi rendus en toute discrétion à Washington, selon des informations révélées par Euractiv, afin de négocier la baisse des prix du gaz de schiste américain.

Alors que l'UE compte également plus que jamais sur la Norvège pour lui délivrer la précieuse molécule à un prix abordable, c'est dans cet état d'esprit que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, échangera ce soir avec le premier ministre du pays scandinave, Jonas Gahr Støre. Reste à voir si le Vieux continent saura placer habilement ses cartes, et parviendra à éviter un scénario noir ponctué d'envolée des coûts et de pénuries à l'hiver prochain.

Lire aussiÉnergie : le GNL compensera le gaz russe cet hiver en Europe, mais 2023 s'annonce compliqué

Marine Godelier

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Commentaires 16
à écrit le 14/12/2022 à 8:17
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c'est assez étonnant que les démocrates ( de nom) aient une vision de la démocratie à géométrie variable. Un parti d'extrême droite , quand il touche de l'argent c'est pas bien mais les autres partis ? La notion de cordon sanitaire , ça veut dire quo...

à écrit le 13/12/2022 à 19:12
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Cata:en pleine campagne un transformateur 20kv/400v à cramé en pleine nuit 40 foyers maxi dans le noir . Media local : pierre ne plus ouvrir sa barrière. Enedis responsable délais trop long pour remplacement transfo .après tout la faute a macron s...

à écrit le 13/12/2022 à 15:26
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Ce sont les gens chagrins comme Citoyen Indigne niais base électorale de Meluche qui constituent une bonne boussole inversée des évolutions souhaitables et réalisables de l'économie

à écrit le 13/12/2022 à 10:39
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Les médias de masse sont ce qu'ils sont. Ils pourraient effectivement être différents mais alors ce ne serait pas pareils. Quant à l'énergie qui pourrait être économisée, cela n'est pas évident car nombreux ont des capteurs solaires dans leur rédacti...

à écrit le 13/12/2022 à 9:58
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Bonjour, Avec le retour du beau temps, les particuliers allemands aurobs quelque mois piur faire évolué leur système de chauffage chaudière au bois ou au pellets.... Pour les industriels ils vas falloir envisager une transition importante... E...

à écrit le 13/12/2022 à 9:44
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D'ici là , tout peut changer , la fin de la guerre en Ukraine, une baisse des taux suite à une forte baisse des matières premières , un parc nucléaire qui fonctionne etc....il faut rester positif.

le 13/12/2022 à 10:45
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C'est vrai ! La France est une très grande puissance, tellement qu'elle pourrait le devenir encore plus ! Pour cela il faudrait appuyer sur l'accélérateur au lieu d'avoir le pied sur le frein. Et revenir à une boite de vitesse manuelle au lieu de l'a...

à écrit le 13/12/2022 à 9:33
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Tout cela est la faute de la privatisation pour ponctionner le capital français en matière de nucléaire au profit de boite de spéculation énergétique qui ont besoin de rareté pour faire encore plus monter les prix.

à écrit le 13/12/2022 à 9:14
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c'est assez étonnant que les démocrates ( de nom) aient une vision de la démocratie à géométrie variable. Un parti d'extrême droite , quand il touche de l'argent c'est pas bien mais les autres partis ? La notion de cordon sanitaire , ça veut dire quo...

à écrit le 13/12/2022 à 6:52
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La docilite des francais, c'est hallucinant, jusqu'ou allez-vous vous laisser trainer dans la boue ? Reveillez-vous.

le 13/12/2022 à 9:37
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Parce qu'il n'y pas de corruption aux mondes des sovjets?

à écrit le 13/12/2022 à 3:27
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Que l'on fournisse du charbon aux ménages pour réduire la facture.

à écrit le 12/12/2022 à 20:38
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A mon avis il y a plus lieu de s'inquiéter d'une déforestation rapide en Europe vu le nombre exponentiel des chauffages au bois.

à écrit le 12/12/2022 à 19:33
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Parce qu'il n'y pas de corruption aux mondes des sovjets?

à écrit le 12/12/2022 à 19:23
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A forçe de prendre des decisions debiloides, on arrivera bien a terminer avec ce qu il reste de l industrie hexagonale.

à écrit le 12/12/2022 à 19:18
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Tout cela est la faute de la privatisation pour ponctionner le capital français en matière de nucléaire au profit de boite de spéculation énergétique qui ont besoin de rareté pour faire encore plus monter les prix.

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