Trois questions pour comprendre la flambée des prix de l'électricité en France

Alors même que l’électricité française présente un coût relativement bas car sa production ne dépend pas des disponibilités en gaz, l’Hexagone est touché de plein fouet par la hausse des tarifs de ce combustible fossile. Un paradoxe qui pousse le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, à demander une réforme du marché européen de l’énergie. Explications.
Marine Godelier
L'augmentation pourrait s'enrayer après le premier trimestre 2022, lorsque sera passé l'hiver et que les pays n'auront plus besoin de renflouer les stocks.
L'augmentation pourrait s'enrayer après le premier trimestre 2022, lorsque sera passé l'hiver et que les pays n'auront plus besoin de renflouer les stocks. (Crédits : Reuters)

C'est un nouveau coup porté sur le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises, qui risque d'accentuer les tensions sociales, alors que l'élection présidentielle approche à grand pas. En effet, le régulateur a annoncé lundi une augmentation de 12,6% des tarifs du gaz, la portant à 57% depuis le mois de janvier. Soit la plus forte hausse constatée depuis 2013 et la mensualisation du calcul, qui se faisait auparavant par trimestre.

Force est de constater que celle-ci se répercute partout, et gonfle également les tarifs de l'électricité dans l'Union européenne, où le prix du mégawattheure a atteint mercredi un pic de 196 euros sur le marché de gros contre 60 euros en septembre 2019. Y compris en France, pourtant non dépendante du gaz pour alimenter son réseau de tension, puisqu'elle dispose d'un mix énergétique unique faisant la part belle au nucléaire. Un paradoxe qui a poussé le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, à qualifier le marché unique européen de fixation des prix de l'électricité d' « obsolète » et « aberrant ». Pour mieux comprendre ce phénomène et le séisme qui secoue le marché de l'énergie, La Tribune fait le point.

Pourquoi les tarifs du gaz augmentent-ils ?

La hausse du prix de l'électricité est intimement liée à celle du gaz, qu'il faut d'abord comprendre. Celle-ci tient d'abord dans la forte reprise économique post Covid-19, qui a entraîné une explosion de la demande en gaz, notamment en Asie. Mais alors qu'il n'y a pas eu d'investissements outre-mesure dans cette source d'énergie ces dernières années (puisqu'elle était jusqu'ici vue comme abondante), l'offre n'a pas suivi. Cette tension a ainsi fait mécaniquement grimper les prix, chacun se livrant désormais à une « guerre » pour s'approvisionner malgré la pénurie, analyse Nicolas Goldberg, senior manager Energy au sein du cabinet Colombus Consulting. Y compris la France, non productrice de gaz, qui cherche à renflouer son stock avant l'hiver - car la baisse des températures provoquera une hausse de la consommation pour se chauffer.

Lire aussi Essence, gaz, électricité... Pourquoi les prix de l'énergie flambent

Dans l'Union européenne, un autre phénomène, plus structurel, a également joué : l'augmentation du prix du carbone pour les industriels (le gaz étant un combustible fossile). Les politiques bruxelloises de réduction d'émissions de gaz à effet, pour lutter contre le dérèglement climatique, ont en effet gonflé le prix du dioxyde de carbone (CO2) sur le marché européen d'échange de quotas d'émissions. Résultat : il a dépassé il y a quelques mois les 50 euros la tonne - avant de s'envoler ce lundi à 65 euros, y compris sous l'effet de la hausse du prix du gaz -, alors qu'il stagnait à un niveau très bas pendant plusieurs années.  « Dans ces conditions, la hausse des tarifs était inévitable », affirme Nicolas Goldberg.

En quoi cela influe-t-il sur les prix de l'électricité ?

Fatalement, cette flambée se répercute sur les coûts de production de l'électricité, encore largement dépendante du gaz. D'autant que certains pays européens décident de fermer leurs centrales nucléaires, sources d'énergie décarbonée. Notamment l'Allemagne, qui prévoit de sortir de l'atome dès 2022, mais bascule vers les centrales à gaz émettrices de CO2 afin de satisfaire la demande. Outre-Rhin, le lien entre la flambée européenne des cours du gaz et la hausse du prix de l'électricité semble donc logique.

Pourtant, la facture gonfle dans les mêmes proportions en France, où la production d'électricité ne dépend pas d'énergie fossile, mais principalement du nucléaire et de l'hydraulique. Un paradoxe lié à la manière dont le marché européen de l'énergie s'est construit. En effet, le principe est celui de la vente au coût marginal, c'est-à-dire que les prix dépendent du coût nécessaire à la mise en route de la toute dernière centrale appelée en renfort pour répondre aux pics de demande sur le réseau électrique.

« C'est généralement une centrale à gaz, en Allemagne par exemple, et les prix de l'électricité s'indexeront en fonction », précise Nicolas Goldberg. Résultat : tous les pays subissent la même hausse.

C'est le fonctionnement de ce marché interconnecté de l'énergie qu'a vivement critiqué Bruno Le Maire la semaine dernière. Annonçant qu'il allait soumettre à ses homologues européens un débat sur sa possible réforme.

« Les Français en paient la facture d'une manière incompréhensible pour eux et totalement inefficace du point de vue économique », a fustigé le ministre sur Public Sénat.

Combien de temps le phénomène risque-t-il de durer ?

En attendant une hypothétique réforme de l'UE, qui n'aboutirait de toute façon pas avant plusieurs années, « il faut s'attendre à une explosion des tarifs de l'électricité dans tout le pays début 2022 », explique Jacques Percebois, économiste et spécialiste du marché de l'énergie. En effet, la hausse du prix de gros de l'électricité sera a priori répercutée dans la facture des 23 millions de ménages ayant souscrit chez EDF, puisque le tarif réglementé de vente (TRV) sera revu à ce moment, et ajusté en fonction du prix du marché.

« Pour l'instant, ça n'a impacté que les 10 millions de ménages qui ont signé un contrat chez un concurrent d'EDF, mais ça ne va pas durer », précise Jacques Percebois.

L'UFC-Que choisir anticipe ainsi un bond de 10%, ce qui reviendrait à une augmentation moyenne de 150 euros pour les ménages utilisant aussi l'électricité comme moyen de chauffage. Une « bombe sociale à retardement », a déclaré l'ancienne ministre socialiste Ségolène Royal, alors que le gouvernement a annoncé mardi des mesures « dans les tous prochains jours ». Il espère ainsi désamorcer les risques d'un mouvement de protestation, après avoir renfloué de 100 euros le chèque-énergie destiné aux plus modestes.

Mais pour enrayer le phénomène, le gouvernement dispose en fait de peu de marge de manoeuvre.

« Il peut soit baisser les taxes sur les factures d'énergie, soit redistribuer une partie des bénéfices des opérateurs historiques aux consommateurs, ce qui reviendrait à un arbitrage défavorable à l'Etat », développe Nicolas Goldberg.

Mais Bruno Le Maire a d'ores et déjà affirmé qu'il ne baissera pas les taxes. « La seule sur le gaz, c'est la TVA et ce n'est pas la solution mise sur la table », a-t-il indiqué. « Il va bien falloir qu'il agisse, surtout en année d'élection présidentielle », rétorque Nicolas Goldberg.

Lire aussi Hausse des prix de l'énergie : une aide de 100 euros pour les ménages les plus modestes

D'autres processus indépendants de la volonté de la France pourraient enrayer la hausse, comme une réplique de la crise économique. « Mais aussi le fait que la Russie décide miraculeusement d'ouvrir les vannes », fait valoir Nicolas Goldberg. Pour l'heure, le pays de Poutine affirme ne pas pouvoir augmenter les approvisionnements en gaz à l'Europe.

« La Russie dispose de plusieurs gazoducs. L'un passe par la Pologne, mais il rencontre des problèmes techniques après un incendie. Un autre traverse l'Ukraine, et Poutine refuse d'y augmenter les flux, du fait de tensions entre les deux pays. Enfin, le gazoduc Nordstream 1 passe dans les eaux de la Baltique. Mais les Russes gèlent la situation car ils veulent montrer aux Européens qu'ils n'auront pas d'autres choix que d'utiliser NordStream 2, le nouveau gazoduc récemment terminé et bientôt mis en service, pour s'approvisionner », analyse Jacques Percebois.

Une solution qui ferait baisser les cours, mais apparaît comme « court-termiste » pour l'Union européenne, note Nicolas Goldberg. « Cela montrerait qu'on n'a pas réussi à se sevrer de notre dépendance, alors même qu'on investit dans des terminaux méthaniers en Europe », développe-t-il.

Enfin, l'augmentation pourrait s'enrayer après le premier trimestre 2022, lorsque sera passé l'hiver et que les pays n'auront plus besoin de renflouer les stocks. Reste que le phénomène risque de s'avérer structurel : « Tout le monde dit qu'il faut sortir des énergies fossiles, mais la seule façon d'y parvenir, c'est d'en augmenter les prix », fait valoir Jacques Percebois. Car pour l'économiste, résorber durablement la tension en augmentant la production de gaz serait « contradictoire » avec les objectifs climatiques.

Marine Godelier

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Commentaires 23
à écrit le 30/09/2021 à 13:14
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En fin de compte ,c'est bon ,pour les boites qui font faire du télétravail à leur salariés et qui n'ont pour beaucoup aucune compensation sur l’électricité qu'ils consomment pour leur entreprise.

à écrit le 30/09/2021 à 8:42
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La flambée des prix de l'Energie va permettre de compenser la taxe d'habitation très difficile à prélever, l'Energie c'est plus simple tu paies t'en as, tu paie pas tans pis pour toi ...

le 08/11/2022 à 9:51
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bien dit

à écrit le 29/09/2021 à 18:52
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Vents contraires pour Eni. EDF a fait condamner son concurrent italien, pour des pratiques de démarchage commercial assimilées notamment à du "parasitisme", selon un jugement du tribunal de commerce de Nanterre. Le groupe italien est notamment condam...

à écrit le 29/09/2021 à 18:34
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Ce sont les énergies renouvelables intermittentes et aléatoires et en particulier l’éolien qui a besoin du gaz en cas de variations trop brusques des conditions météorologiques, pas le nucléaire ; ne racontez pas n’importe quoi ! La France se débrou...

le 29/09/2021 à 20:44
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Ne racontez pas n'importe quoi : le nucléaire ne peut fournir que des puissances constantes. On ne peut donc augmenter notre offre.... Commencez par vous renseigner, avant de faire parler une idéologie de comptoir de bistrot....

le 30/09/2021 à 8:11
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Réponse à René Monti Visiblement vous êtes très sûr de vous pour raconter des bêtises. Le nucléaire peut tout à fait moduler la puissance fournie mais avec une inertie plus grande que la filière gaz : il était tout a fait adapter aux problématiques ...

à écrit le 29/09/2021 à 17:25
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Précisons que la Russie qui,dispose des plus importantes réserves prouvées de gaz naturel devant l'Iran selon BP reste le principal fournisseur extérieur de gaz de l'Union européenne. En 2018, ce pays a compté pour près de 40% des importations gaziè...

à écrit le 29/09/2021 à 15:33
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C'est faux le nucléaire a absolument besoin du gaz.... Regardez eco2mix de RTE ou hier, faute de vent le gaz a produit toute la journée l'équivalent de 5 à 6 réacteurs nucleaires

le 29/09/2021 à 19:52
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Mon commentaire (voir plus haut) était une réponse à remarque idiote de 15h33

à écrit le 29/09/2021 à 15:14
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Trois questions mais deux réponses; Nous sommes dans une concurrences "libre et non faussé", parait il, et soumis par la peur a des actes de "terrorisme"!

à écrit le 29/09/2021 à 13:14
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Pour faire baisser les prix, il faut produire plus d'électricité et pour cela transformer chaque salle de sport en centrale de production électrique. Toute cette énergie gâchée, qui ne sert qu'à la beauté des corps ! Chaque machine doit être équipée...

à écrit le 29/09/2021 à 12:43
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Rien de tel pour sortir de notre zone de confort.

à écrit le 29/09/2021 à 11:15
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il faut couper notre compteur, dormir dans un sac de couchage, manger froid, renoncer aux réseaux sociaux et au beau DELAHOUSSE .... . et découvrir une autre vie. Un nouveau défi qui fera palpiter le coeur des challengephiles.

à écrit le 29/09/2021 à 10:26
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Ces explications ne tiennent pas la route ! On a beau être en forte croissance, ça ne veut rien dire, c'est une croissance par rapport à des niveaux historiquement bas ! On ne sort pas d'un hiver nucléaire, d'une guerre, les capacités à produire du...

à écrit le 29/09/2021 à 10:15
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L'UE donc, franchement étonnant...

à écrit le 29/09/2021 à 10:07
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Plutôt que de critiquer, ce qui est toujours facile, voyons le bon côté des choses : EDF va se faire un beurre monstre, puisque ses prix de revient d'électricité nucléaire restent inchangés ou presque. Si j'ai bien compris. Cocorico !

à écrit le 29/09/2021 à 9:38
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Il semble que Macron etait ministre du budget puis ministre des finances quand la France a signé cet accord. Alors nous payons l'incohérence et la désinvolture de ce président .

à écrit le 29/09/2021 à 9:36
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Il semble que Macron etait ministre du budget puis ministre des finances quand la France a signé cet accord. Alors nous payons l'incohérence et la désinvolture de ce président .

à écrit le 29/09/2021 à 9:35
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La régulation par le marché de l'électricité en France ne marche pas.

à écrit le 29/09/2021 à 9:01
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Il parait que c'est l'électricité qu'on produit avec du gaz, pour compléter les besoins immédiats, qui crée le problème mais à ce point, ça veut dire que ça n'est pas négligeable en quantité. Quand on achète du courant aux pays voisins, c'est au pri...

à écrit le 29/09/2021 à 8:30
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Bruno le Maire devrait plutôt se féliciter de l'électricité chère, puisque cela encourage à l'économiser. C'est bien ce qu'on voulait, non ? Faire de l'écologie ? Et puis, on voulait faire partie de l'Europe, non ? Faire bloc avec les autres pays mem...

à écrit le 29/09/2021 à 7:10
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Quand cela fonctionne on taxe, quand cela fonctionne pas on subventionne. La réalité se chargera de s'occuper du faux marché du CO2 ainsi que du faux marché de l'UE. À part des taux bas pour notre pays endetté, qu'est-ce que la France gagne avec l'UE...

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