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Politique

Laurent Berger sur les retraites : « Un 49-3 me paraît incroyable et dangereux »

INTERVIEW - Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, dénonce « un message dangereux pour la démocratie ». Et propose un référendum.

David Revault d’Allonnes, Arthur Nazaret , Mis à jour le
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT dans son bureau au siege de la CFDT à Paris.
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT dans son bureau au siege de la CFDT à Paris. © Eric Dessons pour le JDD

Jeudi aura lieu, au Sénat puis à l’Assemblée nationale, le vote sur la réforme des retraites, ou son adoption via un 49-3 si le gouvernement estime de pas disposer d’une majorité. Dans cette deuxième hypothèse, quelle sera votre réaction ?
La Première ministre ne veut pas du 49-3. Elle l’a dit. Il n’y a donc pas de raison que le gouvernement le fasse… Disons-nous les choses : le débat n’a pas eu lieu à l’Assemblée nationale, et il a été accéléré au Sénat, alors que ce dernier a l’habitude d’aller au bout des textes dans une ambiance sereine. Dans ce contexte, adopter cette réforme grâce au 49-3 est impossible.

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Le 49-3 est pourtant un outil prévu par la Constitution, non ?
J’ai toujours respecté les outils démocratiques. Cela ne serait évidemment pas illégal. Mais alors qu’on a atteint des niveaux de mobilisation inédits depuis les années 1990, et encore samedi avec plus d’1 million de personnes dans les rues, je ne peux pas croire que le texte passe sans un seul vote au Parlement. Adopter via cette procédure hâtive une réforme à la fois très impactante pour la vie de dizaines de millions de gens, injuste de notre point de vue et mal bricolée, ce serait une forme de vice démocratique. Que la fin de l’histoire soit un 49-3, ça me paraît incroyable et dangereux.

Et si le texte était adopté après un vote des députés ?
Si le Parlement vote le texte, mais c’est loin d’être fait, il faudra en prendre acte. Ça ne veut pas dire que le besoin d’exprimer le mécontentement disparaît. Mais un vice démocratique d’un côté, une procédure parlementaire rabougrie avec un vote de l’autre, ce n’est pas pareil. Quoi qu’il en soit, le monde du travail en entier rejette cette réforme. Ce n’est pas la France des feignants qui manifeste : c’est celle de ceux qui bossent tous les jours, dans toutes les régions et les professions ! Et la réponse du gouvernement, qui explique que la seule option est de faire adopter la réforme quoi qu’il en coûte, c’est le mépris. Voilà pourquoi la détermination qui s’exprime dans la rue est en train de se transformer en colère. Pour sortir de cette impasse, pourquoi ne pas demander aux citoyens ce qu’ils pensent du passage de 62 à 64 ans à travers un référendum ?

Comment envisagez-vous la suite ?
Nous aviserons avec les autres organisations syndicales, mais nous n’en sommes pas là. La partie n’est pas encore jouée. D’ici là, il y aura une semaine décisive et une journée de mobilisation, mercredi. Est-ce qu’on peut se poser pour constater que ça ne passe pas ? Et ce n’est pas le commentaire du responsable de la première organisation syndicale. Ce sont les enquêtes d’opinion et les mobilisations dans la rue qui le disent.

 J’en appelle encore à la raison et au dialogue 

Laurent Berger

Quel message allez-vous faire passer aux députés d’ici à jeudi ?
J’appelle les parlementaires à regarder ce qui se passe dans leurs circonscriptions. Quand le nombre de manifestations représente un tiers du nombre d’habitants de la ville où elle se déroule, il faut quand même en tenir compte ! Et ce ne sont pas des cortèges politiques mais des cortèges de salariés. Les partis politiques qui auraient aimé récupérer la mobilisation ne l’ont pas réussi.

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Jean-Luc Mélenchon, justement, a déploré que vous soyez intervenu dans la stratégie parlementaire de la gauche. Le comprenez-vous ?
Quand on est responsable syndical et qu’on mène une mobilisation sur une réforme sociale, on a le droit de dire ce qu’on pense sur la façon dont cela se passe au Parlement. J’assume. Nous restons à notre place. Par ailleurs, nous n’avons pas de leçon de stratégie syndicale à recevoir. Nous avons fait la preuve de notre indépendance et de notre capacité syndicale à assumer cette mobilisation.

L’intersyndicale a écrit jeudi à Emmanuel Macron pour lui demander une rencontre. Il vous a répondu en vous renvoyant vers Matignon et le ministre du Travail…
Il nous répond par une fin de non-recevoir, tout en nous expliquant qu’il est un apôtre du dialogue. Cette lettre mériterait d’être analysée, avec un peu de recul, comme un exemple parfait d’un incroyable bras d’honneur à la démocratie sociale.

 Quand on est responsable syndical, on a le droit de dire ce qu’on pense sur la façon dont cela se passe au Parlement. J’assume.

Laurent Berger

Y a-t-il encore quelque chose à négocier ?
Il n’y a aucun pays européen démocratique où il n’y aurait pas eu, à un moment, une rencontre pour exprimer ces désaccords. L’idée n’est pas de dire au gouvernement : « trouvons un compromis maintenant. » Mais la contestation du monde du travail est massive, profonde et durable. Ce n’est pas parce que ce texte serait adopté que les gens vont se dire : « On passe à la séquence suivante. » Ça, c’est ce que les technos qui conseillent le gouvernement croient. Et ils se trompent.

Comment expliquez-vous ce refus présidentiel ?
Dans un premier temps, il n’est pas illogique que le Président ne soit pas en première ligne. C’est le rôle de la Première ministre et du ministre du Travail. Mais là, nous sommes dans une crise sociale profonde. Elle tourne au ressentiment et parfois à la colère. Je rappelle que, même s’il y a malheureusement toujours quelques black blocs qui sont dans le coup, il n’y a eu depuis janvier, de la part des syndicats, que des appels à la responsabilité. Personne n’a été empêché de partir en vacances. Il est donc normal que les organisations constatent une forme d’impasse.

C’est définitivement cassé entre vous et le Président ?
Ça n’a jamais été un problème personnel. Emmanuel Macron est président de la République, élu au suffrage universel. Le problème n’est pas le dialogue de M. Macron avec moi, Philippe Martinez, ou je ne sais qui. C’est l’écoute des travailleurs par le Président. Refuser de recevoir les représentants du monde du travail, c’est une rupture dramatique.

Sera-t-il possible de repartir sur de bonnes bases avec l’exécutif, une fois cette affaire soldée ?
Quelle que soit l’issue, la CFDT aura toujours une seule boussole : elle continuera à bosser pour l’amélioration de la vie au travail, pour le dialogue professionnel, pour la révision des ordonnances travail de 2017. Mais si la loi est adoptée sans tenir compte de l’expression du mouvement social, on ne se retrouvera pas, le lendemain matin, en train de discuter comme si de rien n’était. On ne pourra pas repartir comme avant, comme si cet épisode qu’on traverse n’avait pas existé. Ça va compliquer les choses et tendre le dialogue. L’exécutif ne peut pas nous dire : « Je ne discute pas des retraites, mais d’accord pour tous les autres sujets. » D’ailleurs, ces autres sujets ne peuvent pas se résumer à trois ou quatre mesures sucrées ou cosmétiques, qui n’auraient pas de sens ou d’effectivité.

 Si la loi est adoptée sans tenir compte du mouvement social, on ne discutera pas le lendemain matin comme si de rien n’était. 

Laurent Berger

Êtes-vous devenu l’opposant numéro un du gouvernement ?
Pas du tout. Je ne suis pas un politique, et je ne suis l’opposant de personne. Je continue de faire mon boulot de syndicaliste. Mais quand on n’a pas d’interlocuteurs, on s’oppose et on conteste par un rapport de force. Pour le reste, la CFDT n’a pas changé. Nous sommes toujours pour le système universel de retraites. Ce n’est pas moi qui ai changé d’avis ! À une époque, Emmanuel Macron soulignait que c’était dur de travailler jusque 62 ans, et souhaitait « bon courage » pour y arriver. J’étais d’accord…

Pourquoi a-t-il changé, selon vous ?
Le Président a fait de la réforme des retraites un objet d’affichage politique. Et un objet de réforme budgétaire. Mais cette réforme n’est plus utile pour personne. Elle ne rapporte plus grand-chose pour l’économie alors qu’elle a un impact très négatif pour beaucoup de salariés.

Que dites-vous aux députés que vous rencontrez ?
Le message est clair : vous ne pouvez voter une réforme rejetée par l’ensemble du monde du travail. Je ne me permets pas de leur dire ce qu’ils doivent faire, mais je leur demande de bien réfléchir.

Vous êtes allés échanger avec des députés LR. Pourriez-vous faire de même avec le RN ?
Non. Le seul groupe avec lequel il n’y a pas de discussion possible, c’est le RN. Dès que Marine Le Pen le peut, elle tape sur les syndicats. Elle n’en a rien à faire du monde du travail ou de la réforme des retraites. Elle est tapie dans l’ombre et attend de voir si elle peut faire son miel de la colère sociale.

Soutenez-vous les blocages ?
Il n’est pas question pour la CFDT d’appeler au blocage du pays ni à des grèves reconductibles. Ce n’est pas dans notre culture. Et ce n’est pas ce que demandent les travailleurs que je rencontre.

Et les coupures de courant dans les permanences d’Olivier Dussopt ou Gérard Larcher, le président du Sénat ?
Je suis contre ces pratiques. Je suis pour le respect des biens et des personnes. Couper le courant à quiconque, je ne peux pas le soutenir.

 Marine Le Pen est tapie dans l’ombre et attend de voir si elle peut faire son miel de la colère sociale 

Laurent Berger

Redoutez-vous une multiplication des violences, qui entacheraient la popularité du mouvement social ?
Je ne cautionne jamais la violence. Après, peut-être que ce sera une conséquence malheureuse face au mépris auquel nous nous heurtons. Il y a un ressentiment très profond dans le monde du travail. Est-ce qu’une forme de désespoir peut s’exprimer en dehors des consignes syndicales ? Je ne l’espère pas. Mais pour 284 000 Gilets jaunes, au plus fort de la mobilisation, Emmanuel Macron a lâché 13 milliards, simplement parce qu’il y avait eu des violences. Nous, nous sommes, selon la police, 1,5 million dans la rue, dignes et sans violence, mais personne ne daigne nous recevoir ! Le Président envoie là un message dangereux pour la démocratie.

Certains leaders syndicaux ont dit vouloir mettre « l’économie à genoux ». C’est aussi votre objectif ?
C’est un leader de la CGT opposé à sa direction qui a fait cette déclaration. Je me demande s’il n’a pas été l’idiot utile du gouvernement. L’économie, ce sont nos emplois.

Le conflit sur les retraites vous oblige-t-il à continuer votre mandat plus longtemps que prévu ? Quand pensez-vous quitter votre poste de secrétaire général ?
Je n’ai aucune annonce à faire. Une organisation syndicale ne se résume pas à un homme : c’est un collectif. Mais cet épisode ne remet pas en cause mon choix de ne pas aller au bout de mon mandat et de passer la main dans quelque temps.

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