Drue Kataoka gesticule, bouche entrouverte, le visage tourné vers le plafond, pieds nus sur un grand écran vert qui recouvre le sol et les murs. Elle reçoit dans le pavillon de bois qui lui sert d’atelier, sur les hauteurs de Palo Alto, dans la Silicon Valley.
Ce qu’elle a à montrer est bien là, flottant dans ces quelques mètres carrés, mais il faut, pour l’apercevoir, enfiler, comme elle, un casque de réalité virtuelle. On découvre alors, persuadé d’être seul, un univers fantastique qui s’étend dans toutes les directions, et dans lequel on peut se déplacer. Dans cette forêt orangée où la gravité n’existe pas, les arbres poussent racines au ciel, un lac de pierres se déverse dans un abîme, donnant autant le vertige que l’envie de s’y pencher.
« Nous sommes à l’aube d’une révolution »
Cette artiste d’origine japonaise a réalisé son œuvre à l’aide de Tilt Brush, une application de dessin en réalité virtuelle disponible pour les casques HTC Vive et Oculus. Vendu 20 dollars, l’outil aurait atteint, selon des chiffres non officiels, les 190 000 utilisateurs, un an après le début de sa commercialisation par Google, en avril 2016. Il permet de dessiner en 3D, sans support, à l’aide d’un casque et de deux commandes manuelles.
L’outil a pour vocation première, assumée par l’équipe de Google, de divertir un public d’amateurs. Une démonstration de quelques minutes suffit au novice pour balbutier une œuvre, mi-peinture mi-sculpture, qu’il peut archiver et partager. Mais, pour une nouvelle génération d’artistes, cette technologie annonce un tournant pour les arts plastiques.
« Nous sommes à l’aube d’une révolution, estime Drue Kataoka. C’est une période fascinante pour être artiste. » Peintures sans toile, graffitis sans mur, sculptures sans matérialité : les œuvres de réalité virtuelle sont paradoxales, et les galeries ne savent pas encore comment les exposer. Pour le spectateur également, la donne semble être changée. L’œuvre d’art n’est plus un objet matériel que l’on vient regarder ou que l’on peut vendre, mais une expérience dans laquelle il faut se plonger.
« La seule limite : l’imagination »
C’est le caractère immersif du dispositif qui a intrigué George Peaslee, un sculpteur de 29 ans originaire d’Hawaï, aujourd’hui installé à Los Angeles. Il a commencé à utiliser Tilt Brush il y a un an pour recréer en réalité virtuelle La Nuit étoilée de Van Gogh. « Je rêvais de pouvoir envoyer un drone dans ce tableau, se souvient-il, ou de pouvoir plonger dedans, le voir depuis le ciel mais aussi depuis la ville. »
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