« Vous êtes heureux ? »
Une fois, dix fois, vingt fois, la réponse est la même, sans hésitation et avec le sourire vaguement étonné : « Oui, oui ! » Des voisines d’une chambrée à l’internat qui papotent avant l’extinction des lumières. Des copains de terminale qui finissent leur déjeuner à la cantine. Des élèves de BTS qui participent à un cours de travaux pratiques pour apprendre comment immobiliser une vache sans la blesser ni se mettre en danger. Des apprentis qui suivent sans comprendre un cours d’espagnol en attendant la sonnerie qui les libérera enfin. Des 1res qui patientent avant une leçon technique sur l’élevage des animaux.
Dans les couloirs, les chambres et les salles de classe du lycée agricole de Montardon, en périphérie de Pau (Pyrénées-Atlantiques), grandit une jeunesse, rurale, connectée à tous les réseaux sociaux, mixte mais sans diversité ethnique, dont l’horizon, les pieds sur terre, est celui de la sueur et du labeur. Avec l’assurance de ceux et celles qui savent ce qu’ils sont et ce qu’ils vont être. Avec les craintes de ceux qui n’ont pas complètement le choix non plus.
Charles Elgoyhen a le rire éclatant de son âge (16 ans) et les projets d’un adulte : reprendre un jour la ferme familiale de 650 brebis et 80 chevaux dans la vallée d’Aspe. Margot Labourdette, 17 ans, fille d’une mère pâtissière et d’un père éleveur de bovins, fait visiter sa chambre à l’internat où les décorations colorées respirent l’enfance qui s’échappe. Son rêve est de reprendre l’exploitation de son père (120 têtes) pour continuer de faire grandir le cheptel en améliorant, encore et encore, le travail de sélection génétique de ses bêtes. « Comme mon grand-père, mon père, mon tonton », dit-elle.
Louis Perrin, 18 ans, attendra un peu mais il est écrit qu’il prendra la succession de ses parents, éleveurs de canards, gavés dans un double bâtiment de 1 800 places. Alexandre Tisnerat, 19 ans, reprendra aussi l’activité un jour : 40 blondes d’Aquitaine, une race de vache particulièrement productive, et 320 basco-béarnaises, des brebis dont le lait sert à produire un fromage de qualité, l’ossau-iraty, et qui ont le mérite d’être rustiques, donc résistantes.
« Vous êtes heureux ? » Oui, et pourtant, cette jeunesse, plus que d’autres, a une conscience aiguë des difficultés et des fragilités du métier d’agriculteur. Ils savent que les plus désespérés en viennent parfois à se suicider, emportés par les blessures de l’échec. Ils savent aussi que le salaire horaire est dérisoire pour les exploitants, que les fermes abandonnées sont nombreuses, que les cours de la viande ou du lait ne permettent pas de payer les salariés au-dessus du smic ; et que, en revanche, les cours des métaux, des engrais ou des matériaux peuvent tout renchérir du jour au lendemain.
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