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Tribune

De la crise de 2008 à celle de 2020

Dans sa liste des éléments qui pourraient entraîner une crise financière en 2020, Nouriel Roubini omet une raison essentielle : la désastreuse résolution de celle de 2008 par Barack Obama et les autorités américaines.

De la crise de 2008 à celle de 2020

Par Jean-Luc Baslé (ancien directeur Citigroup New York)

Publié le 8 oct. 2018 à 17:20

Les annonces d’une prochaine crise économique et financière se multiplient aux Etats-Unis. Après (1), c’est au tour de d'évoquer la possibilité d'une crise pour 2020.  (2)

En soi, ce n’est pas un scoop, les crises sont récurrentes dans le système capitaliste, et le cycle actuel d’expansion est le second le plus long après celui des années 2000. Mais, la qualité du premier, et la crédibilité du second qui fut l’un des rares à prévoir la crise de 2008, confèrent une résonance particulière à leurs annonces. Nouriel Roubini liste cinq raisons pour justifier sa prévision. Il oublie la plus sérieuse : la désastreuse résolution de la crise de 2008 par Barack Obama. Pourquoi est-ce important ? Parce qu’elle prive les autorités des instruments fiscaux et monétaires dont elles auront besoin pour contrer la nouvelle crise. Nouriel Roubini le reconnaît sans en donner la raison. Arrêtons-nous donc un instant sur la crise 2008 pour comprendre ce qui nous attend en 2020.

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L’ampleur de la crise de 2008 conduit les autorités américaines à prendre des mesures inorthodoxes pour en contenir les effets. Elles utilisèrent à fond les leviers fiscal et monétaire. Cela s’est traduit par une série de déficits budgétaires colossaux en pourcentage du produit intérieur brut : 9,9 % en 2009, 9,4 % en 2010, 8,7% en 2011 et 7,0% en 2012 – du jamais vu dans l’histoire des Etats-Unis hormis pendant la Seconde Guerre mondiale – ce qui entraîna un accroissement de 40% de la dette publique qui atteint 100% du produit intérieur brut.

Dans le même temps, Ben Bernanke abaissait le taux directeur de la Réserve fédérale à un niveau considéré jusque-là comme inconcevable : 1/8ème de pourcent pendant 7 ans, entraînant un quasi quintuplement du bilan de la banque – à nouveau, du jamais vu dans l’histoire de cette institution – une politique qui provoqua une envolée de la bourse, comme le rappelle Nouriel Roubini.

Concomitamment, les autorités fédérales vinrent au secours des grandes banques qui étaient toutes en quasi faillite. Le résultat ne s’est pas fait attendre. A l’hiver 2010, soit deux ans après la banqueroute de Lehman Brothers – élément déclencheur de la crise – la croissance était de retour. Au vu de ce résultat, les autorités avaient tout lieu de s’estimer satisfaites. Le seul problème est que, dans leur empressement à endiguer la crise, elles en oublièrent les principales victimes : les épargnants qui, floués par les banques et leurs intermédiaires, avaient investi dans l’immobilier (3). Que fallait-il faire ?

Risque systémique accru

Décréter un moratoire pour protéger les épargnants, nationaliser (temporairement) les banques à leur valeur de marché, et licencier leurs dirigeants, puis négocier un compromis entre autorités fédérales et épargnants pour qu’ils ne soient pas dépouillés de leurs biens, comme ils le furent brutalement, ce qui, comble de l’ironie, permit à des individus peu scrupuleux d’engranger des profits faramineux en achetant pour une bouchée de pain les dits biens qu’ils revendirent avec profit quand la croissance revint ! Il convenait aussi de rétablir le Glass-Steagall et le McFadden Acts, non dans leur texte originel mais dans une forme qui tienne compte de l’évolution du secteur bancaire. Etonnement, les banques de Wall Street sont aujourd’hui plus grandes qu’elles ne l’étaient avant 2008, accroissant d’autant le risque systémique de crise. (4)

Si l’usage du levier fiscal se justifie en cas de récession, en revanche, l’usage du levier monétaire dans la mesure extrême où il l’a été se justifie beaucoup moins. Par ce biais, les autorités secoururent les grandes banques, maintinrent leurs dirigeants dans leur poste et négligèrent les épargnants.

De toutes les nations touchées par la crise, seule l’Islande agit équitablement, nationalisant les banques et emprisonnant leurs dirigeants. Toutes les autres suivirent peu ou prou le modèle américain au nom d’un principe bien connu en économie qui veut que si les banques s’effondrent, l’économie s’effondre (5). C’est exact, mais cela n’implique pas que leurs dirigeants qui faillirent à leurs devoir fiduciaire soient maintenus en poste, et encore moins que la survie de leurs institutions soit assurée par l’argent du contribuable.

Les coupables sauvés

On assista donc à une situation ubuesque où les épargnants, par le biais de l’endettement public, sauvèrent les banques qui les avaient floués. Au nom d’un sacro-saint principe, on en a renié un autre qui veut que dans une économie capitaliste, le dirigeant et l’actionnaire sont responsables de leur gestion.  Ils engrangent des profits ou subissent des pertes, selon que leur gestion est bonne ou mauvaise. Les autorités ont fait l’inverse : elles sauvèrent les coupables et livrèrent les victimes à leur sort. C’est pourquoi elles sont désarmées aujourd’hui.

S’il y a crise en 2020, le gouvernement américain ne pourra recourir à des déficits budgétaires abyssaux. La dette américaine a atteint un niveau record qui menace la crédibilité du dollar. De son côté, la Réserve fédérale ne pourra abaisser un taux directeur qui reste très bas en dépit de sa remontée récente. Quant aux épargnants et aux salariés qui perdirent leur emploi suite à la récession de 2008, ils n’accepteront pas d’être ignorés une fois encore.

Si d’aventure les autorités fédérales utilisaient les remèdes de 2008, elles seraient confrontées à la colère du peuple – "la résurgence de mouvements populistes", nous dit Nouriel Roubini. A quoi faut-il alors s’attendre ? A une crise économique et financière d’ampleur, et non à une simple récession, comme le laissent entendre Ben Bernanke et Nouriel Roubini. Ce scénario n’est bien sûr pas écrit, mais il est le plus probable… d’où les annonces de ces deux économistes de renom.

Notes
(1) "Bernanke says U.S. economy faces a ‘Wile E. Coyote’ moment in 2020", Bloomberg, 7 juin 2018.
(2) "Les cinq ingrédients qui préparent la crise de 2020", par Nouriel Roubini, "Les Echos", 4 octobre 2018.
(3) Les banques engagèrent des intermédiaires pour convaincre les Américains d’acheter des biens immobiliers. Un grand nombre d’entre eux n’en avait pas les moyens. Aussi, sur le formulaire de prêt, l’intermédiaire entrait-il – à l’insu de l’acheteur – dans la case « revenu » un chiffre supérieur à son salaire, suffisant pour justifier le prêt immobilier. Ces prêts – appelés « liar loans » (prêts menteurs) – étaient agglomérés dans des « special vehicle purpose » (entités juridiques spéciales) qui émettaient des obligations, lesquelles permettaient à la banque de récupérer sa mise. Etrangement, ces obligations de très mauvaise qualité recevaient la notation la plus élevée, « triple A ».
(4) Le Glass-Steagall divise le secteur en banques d’investissements et en banques de dépôts. Le McFadden Act limite le secteur géographique de la banque à l’état dans lequel elle est enregistrée. Le Dodd-Frank Act, voté par le Congrès en 2010, est une loi couteuse pour les banques. Elle ne supprime pas le risque systémique qu’elles posent.
(5) Ce principe est à l’origine de l’expression « too big to fail » (trop grosse pour faire faillite » qui fut énoncée pour la première fois dans une étude interne à la Citibank. A la question posée par son président, Walter Wriston, en 1978 : "quel doit être le montant des fonds propres de la banque?", Geoge Vojta, directeur du Corporate Planning répondit que la banque était devenue si importante au regard de l’économie américaine que le gouvernement serait obligé de venir à son secours en cas de difficulté. Dans la décennie suivante, la conclusion se révéla prémonitoire. La banque connut de sérieux problèmes. La Réserve fédérale vint à sa rescousse, et l’investisseur saoudien Al-Whalid entra au capital.

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