Droit des femmes

L’Equateur dépénalise l’avortement en cas de viol

La décision rendue mercredi par la Cour constitutionnelle a été saluée par les associations féministes. Le pays reste malgré tout très conservateur, et la loi loin d’offrir aux femmes un total contrôle sur leur vie reproductive.
par Julien Lecot
publié le 29 avril 2021 à 13h44

Il a suffi de supprimer quelques mots pour marquer une avancée majeure pour les droits des femmes dans un continent majoritairement conservateur. Mercredi, la Cour constitutionnelle d’Equateur a modifié l’article 150 du code pénal afin de rendre l’avortement non punissable en cas de viol pour toutes les femmes du pays. Jusqu’à présent, seules les femmes qui avaient été violées et souffraient d’un handicap mental pouvaient avorter sans risquer de poursuite pénale. L’IVG est aussi autorisée dans les cas où la santé de la femme est en danger et qu’aucune autre solution n’est envisageable. Les autres femmes, en plus de mettre leur santé en danger en ayant recours à un avortement loin du système de santé, risquent jusqu’à trois ans de prison si elles sont démasquées.

Dans les heures précédant la décision de la Cour, très attendue, plusieurs centaines de personnes s’étaient réunies aux abords du bâtiment, dans le centre de Quito, séparées en deux groupes par un cordon de CRS. D’un côté, dans une ambiance de fête, certaines chantaient et dansaient en abordant fièrement drapeaux et fumigènes verts, couleur utilisée par les militantes féministes en Argentine, et reprenaient en chœur des slogans comme «Ça sera la loi en Equateur» ou «décider est mon choix». De l’autre, des drapeaux aux couleurs du pays flottaient, accompagnés de croix et de pancartes comme «Avortement : sentence de mort pour les enfants», symbole d’une société toujours très catholique et conservatrice.

Contrôle sur la «vie reproductive»

La Cour constitutionnelle a finalement donné raison au premier camp, sept de ses neuf juges votant pour retirer la notion de handicap mental dans le code pénal et ouvrant l’avortement à toutes les femmes victimes de viol, deux ans après que l’Assemblée nationale a refusé une proposition de loi similaire. «Les femmes violées peuvent avorter en paix», a titré dans la foulée le quotidien la Hora, parlant d’une journée «historique». Les associations féministes du pays ont elles aussi salué cette décision importante, mais qui reste selon elles incomplète. «Les femmes équatoriennes continueront de se battre pour exercer le droit d’être libres de jouir, de protéger nos corps et notre santé dans le cadre de la dignité que nous méritons et que nous n’avons toujours pas», ont-elles expliqué dans un communiqué commun.

La constitution équatorienne stipule que tous les Equatoriens ont le droit «de prendre des décisions libres, responsables et éclairées concernant leur santé et leur vie reproductive et de décider quand et combien de filles et de fils avoir», rappelle El Pais. Alors que l’avortement reste majoritairement interdit, cette décision est encore loin d’offrir aux femmes un total contrôle sur «leur vie reproductive». Elle devrait néanmoins faciliter la vie de nombre d’entre elles. D’après les données de l’Institut national des statistiques et du recensement (INEC), 1 816 adolescentes âgées de 10 à 14 ans auraient accouché en 2019, soit cinq par jour, alors que tout rapport sexuel avec un enfant de moins de 14 ans est légalement considéré comme un viol dans le pays. De plus, selon la Fundacion Desafio, qui défend les droits sexuels des femmes, onze femmes sont violées chaque jour en Equateur.

Deux millions d’avortements illégaux chaque année en Amérique latine

Conservateur et fervent catholique, le président fraîchement élu Guillermo Lasso, qui prendra ses fonctions le 24 mai, a tenu a souligné son «respect» envers la résolution de la Cour, assurant que «l’indépendance des pouvoirs et la laïcité de l’Etat sont des principes non négociables» en démocratie. Une prise de position saluée par les associations féministes. Maria de Lourdes Alcivar, sa femme, s’est elle montrée beaucoup moins consensuelle, tweetant quelques heures avant que la Cour ne se prononce : «Prions Dieu pour que l’avortement ne soit pas approuvé dans notre pays. C’est un meurtre qui nous fait mal. Nous avons tous le droit à la vie.»

Avec cette décision – qui reste très restrictive – l’Equateur devient l’un des pays les plus permissifs sur l’avortement en Amérique latine. Dans cette région du monde, trois interruptions de grossesse sur quatre sont faites illégalement, selon l’OMS, soit près de deux millions d’avortements illégaux chaque année. Seuls l’Uruguay et, depuis décembre dernier, l’Argentine l’ont dépénalisé, ainsi que le Guyana (anglophone) et Cuba, dans les Caraïbes. L’IVG reste au contraire totalement interdite, sauf dans certaines conditions exceptionnelles pour sauver la vie de la femme enceinte, au Brésil, au Venezuela et au Paraguay, et dans la plupart des pays d’Amérique centrale. Le Honduras a même durci sa législation sur le sujet en janvier, approuvant une réforme criminalisant l’avortement même en cas de viol, d’inceste et de malformation grave du fœtus. Les femmes avortant et les médecins le pratiquant risquent ainsi jusqu’à six ans de prison.

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