Les conséquences en cascade du risque pénal des changements de destination non soumis à autorisation
Commerce rue Bobillot (Paris 13e)

Les conséquences en cascade du risque pénal des changements de destination non soumis à autorisation

La réforme des destinations et sous destinations adoptée en 2015 a conduit à limiter les cas dans lesquels une autorisation d’urbanisme est requise puisque désormais, les changements de « sous-destination », lorsqu’ils demeurent au sein de la même destination par l’article R. 151-27 C. Urb et qu’ils ne nécessitent pas de travaux (affectant leurs structures porteuses ou leur aspect extérieur), sont dispensés de permis de construire aussi bien que de déclaration préalable.

 

Mais, comme l’avaient souligné les commentateurs à l’occasion de la réforme, être dispensé d’autorisation ne signifie pas être dispensé d’appliquer les règles définies dans le document d’urbanisme. En effet, l’article L. 610-1 du Code de l’urbanisme (ancien article L.160-1) prévoit une infraction spécifique de non-respect des règles de fond d’urbanisme, indépendante de celle de construction sans autorisation ou non conforme à une autorisation délivrée. Et, au-delà de la sanction, c’était naturellement l’enjeu essentiel du contentieux pénal de l’urbanisme qui se profilait : celui de l’obligation de remise en état que le juge peut imposer au contrevenant, sur la base de l’article L. 480-5 du Code de l’ubanisme.

 

Jusqu’à présent, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation concernait des cas dans lesquels ces deux types d’infractions se cumulaient, en particulier lorsqu’une construction avait non seulement été réalisée sans permis, mais de surcroît en violation des règles d’urbanisme applicables. Dans un tout récent arrêt (Cass crim 6 février 2024, n° 23-81.748), les circonstances de fait, passablement embrouillées, semblaient montrer qu’au moins pour partie, on se situait encore dans le cadre d’un cumul d’infractions.

 

L’intérêt de l’arrêt vient de ce que la chambre criminelle, dépassant ces aspects factuels, dans un motif de principe, s’est exprimée ainsi :

« en application des dispositions des articles L. 610-1 et L. 480-5 du code de l'urbanisme, les infractions aux dispositions des plans locaux d'urbanisme peuvent donner lieu à mise en conformité des lieux ou des ouvrages, la seule circonstance que l'infraction porte sur l'utilisation de bâtiments de manière non conforme à celle autorisée par le PLU ne faisant pas obstacle à ce qu'une telle mesure à caractère réel soit prononcée ».

 

Autrement dit, même lorsque seule l’infraction de violation des règles de fond du document d’urbanisme de l’article L. 610-1 du code  est constituée, le juge peut ordonner la remise en état des lieux. Il n’y a, à dire vrai, rien d’étonnant à cela car l’article L. 480-5 qui définit le régime du prononcé de la remise en état, englobe expressément l’article L. 610-1 dans son champ d’application.

 

Lorsqu’une autorisation administrative est requise pour faire évoluer la destination d’une construction, l’administration est à la fois un verrou, si elle refuse l’autorisation, mais également une sécurité : elle « dit le droit » et les acteurs se soumettent à cette analyse (ils peuvent aussi choisir de la contester, mais c’est une autre histoire).

 

En revanche, lorsqu’aucune autorisation de l’administration n’est requise, il va falloir que les acteurs « se débrouillent », seuls. C’est donc à eux qu’il va revenir de déterminer si le changement de sous destination sans travaux respecte les règles d’urbanisme.

 

Cela peut être facile. Par exemple, lorsque le PLU interdit la destination entrepôt dans une zone, on ne pourra pas transformer un local industriel en entrepôt (ces deux sous-destinations relevant de la même destination).

 

Cela peut-être beaucoup plus difficile lorsque le PLU, sans interdire une sous destination, la réglemente de manière différente d’une autre. On pense en particulier à cette épine dans le pied permanente des porteurs de projets que constituent les règles en matière de places de parking : si un PLU prévoit des normes de stationnement différentes pour un commerce ou un local artisanal, de celles applicables à une « activité de service ou s’effectue l’accueil d’une clientèle » (par exemple un cabinet médical), il faudra vérifier que la nouvelle vocation de la construction respecte bien ces règles.

 

Et cette activité difficile, le contrôle « privé » du respect des règles d’urbanisme aura des conséquences importantes qui dépassent la seule question du risque pénal. La 3e chambre civile de la Cour de cassation a en effet rappelé récemment que l’irrégularité d’urbanisme d’un local caractérisait un manquement par la bailleur à son obligation de délivrance et par suite conduisait à la résolution du bail (Civ. 3e, 1er juin 2022, n° 21-11.6). Certes dans cet arrêt, c’était un défaut de permis de construire qui était identifié, mais c’est notamment au motif de l’absence de « régularité de la situation administrative du local » que la Cour se prononce, de sorte que, dans le cas d’un changement de sous destination sans autorisation, cette solution semble transposable.

 

Et la cascade de risques ne s’arrête pas sur le bailleur, elle affecte également les rédacteurs d’actes, notaires, avocats ou autres, qui à l’occasion de la rédaction d’un bail, d’habitation professionnel ou commercial, devront se livrer à une vérification attentive des règles d’urbanisme applicables, à défaut de quoi leur responsabilité professionnelle pourra être engagée.

 

On mesure ainsi l’effet paradoxal de la réduction de l’exigence d’autorisations d’urbanisme en matière de destination : elle ne fait pas disparaître l’obligation de respecter les règles d’urbanisme mais en transfère la charge aux acteurs privés, en l’assortissant d’un nombre de risques juridiques importants.

 

Frédéric Rolin

Directeur scientifique du Gridauh

Emmanuel KOUASSI

Juriste en droit public, droit de l’urbanisme et de l’environnement

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Ambre de Vomécourt

Docteur en droit, Responsable juridique groupe et Chargée d'enseignement.

3mo

Pierre Paquay de Plater cela me rappelle l’une de nos conversations 😉

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