Trop protéger les abeilles domestiques serait mauvais pour les autres pollinisateurs

Trop protéger les abeilles domestiques serait mauvais pour les autres pollinisateurs
Les abeilles domestiques devraient être considérée "comme du bétail, pas comme de la faune sauvage" selon deux biologistes (WAUGSBERG / WIKIMEDIA COMMONS)

"Les abeilles domestiques peuvent avoir des effets négatifs sur leur environnement immédiat", pointent deux chercheurs.

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Les abeilles sont en danger, c'est un fait désormais reconnu. Menacée par les frelons asiatiques et par les néonicotinoïdes qui provoquent les syndromes d'effondrement des colonies, l'abeille domestique fait désormais l'objet d'attentions particulières qui n'iraient pas toutes dans le bon sens.

L'abeille qui cache la forêt d'espèces menacées

Si les abeilles de nos ruches nous alimentent en miel et ont un rôle non négligeable dans la pollinisation (donc pour notre alimentation), elles ne sont pas les seules à s'occuper du cycle reproductif des plantes, loin de là. Se focaliser sur cette espèce particulière pourrait donc être néfaste à la protection des pollinisateurs en général. C'est en tout cas l'avis de deux biologistes de la conservation du département de zoologie de l'université de Cambridge (Angleterre), Jonas Geldmann et Juan P. Gonzáles-Varo, qui signent aujourd'hui une tribune dans le journal "Science".

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En une trentaine d'années, plus des trois quarts des insectes volants auraient disparu en Europe. Responsables, nos pratiques agricoles en général, et l'utilisation de pesticides en particulier. Le déclin n'est donc pas un problème spécifique aux abeilles, mais le rôle de celles-ci dans la pollinisation des cultures et dans l'économie ainsi que leur image de "gentilles fournisseuses de miel" en ont fait un symbole emblématique.

La pollinisation n'est pourtant pas l'apanage des seules abeilles domestiques. Il y aurait en effet plus de 20.000 espèces d'abeilles sauvages mais aussi d'autres insectes (dont les papillons) qui se chargent de ce travail essentiel pour de nombreuses cultures. Un exemple parmi d'autres, en 2017 les Etats-Unis ont admis un bourdon, Bombus Affinis, dans la liste des espèces en danger, malgré une tentative d'obstruction de l'administration Trump. Cet insecte pollinisateur a vu sa population chuter de 90% depuis 1990 !

"Les abeilles domestiques, c'est du bétail, pas de la faune sauvage"

Pour Geldmann et González-Varo, cependant, les abeilles domestiques sont un tout autre problème, et ne devraient pas faire l'objet d'une focalisation aussi intense même si elles sont "l'espèce la plus importante pour la pollinisation des cultures." Les deux scientifiques estiment qu'il faut les ranger dans la catégorie "bétail", au même titre que les vaches et les cochons, "sauf que ce bétail-là peut se promener en-dehors des enclos et perturber les écosystèmes locaux par la compétition et la maladie."

Les deux auteurs souhaiteraient que l'on ne mélange pas le soutien à une partie de l'économie, l'apiculture, avec la protection de la nature :

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"Sauver les abeilles n'aide pas la faune sauvage. Les abeilles domestiques occidentales sont une espèce gérée commercialement qui peuvent avoir des effets négatifs sur leur environnement immédiat du fait de leur introduction en nombre massif."

Ils affirment qu'une trop grande augmentation du nombre d'abeilles domestiques peut au contraire "exacerber le déclin des pollinisateurs sauvages." Les abeilles introduites par l'homme dans certains environnements vont en effet capter une nourriture vitale pour les autres insectes, faussant toute compétition par leur nombre. De plus, "les abeilles domestiques sont liées à la propagation de maladies à des espèces sauvages", et "peuvent aussi avoir un impact négatif sur le succès reproductif de plantes sauvages".

"Un outil nécessaire" mais...

"Nous ne contestons pas le fait que les abeilles domestiques sont utiles, et même un outil agricole nécessaire pour augmenter le rendement de nombreuses cultures", assurent Geldman et Gonzáles-Varo. "De plus, de nombreux facteurs qui affectent négativement les abeilles domestiques (comme les néonicotinoïdes, les parasites et les maladies) touchent également les pollinisateurs locaux".

Les abeilles domestiques peuvent ainsi servir de révélatrices pour ces menaces, et "les stratégies développées pour réduire leurs pertes, comme bannir les néonicotinoïdes, peuvent aussi bénéficier aux pollinisateurs sauvages qui ont un besoin désespéré d'attention en matière de conservation."

Pour les deux biologistes, il faut cependant une réflexion plus poussée, et "évaluer les lieux où la densité en abeilles domestiques est vraiment nécessaire à la pollinisation des cultures sans porter préjudice aux pollinisateurs sauvages ou aux plantes." Il faut notamment éviter que des ruches soient placées "dans des zones protégées, où elles seraient susceptibles de causer les dommages les plus importants aux pollinisateurs sauvages."

Ils plaident pour que les nombreuses recherches effectuées ces dix dernières années sur le déclin des abeilles domestiques soient étendues aux autres pollinisateurs, et puissent également se pencher sur les effets négatifs de l'apiculture. Pour eux, il faut aller à la racine du problème : "Nous avons besoin d'une stratégie de conservation qui se focalise de manière explicite sur les principales causes du déclin actuel des pollinisateurs sauvages, pas sur les rendements agricoles."

Jean-Paul Fritz

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