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Brexit : la grande désillusion

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Par Annick Capelle

Le 31 janvier 2020, c’était l’effervescence dans le cœur de Londres. Des milliers de partisans du Brexit armés de petits Union Jacks étaient rassemblés devant le Parlement. A 23 heures pile, la foule éclate de joie et sort les coupes de champagne : le Royaume-Uni vient de quitter officiellement l’Union européenne après 47 ans de vie commune.

Trois ans plus tard, l’ambiance n’est plus à la fête. Parmi ceux qui ont voté en faveur du divorce en 2016, une personne sur cinq estime aujourd’hui que c’était une mauvaise décision. Un avis partagé par 56% des Britanniques (Remainers et Leavers confondus). Si un nouveau référendum devait être organisé, deux tiers des Britanniques voteraient pour réintégrer l’UE.

Un sentiment qui fait tache d’huile, à tel point que dans les médias, on ne parle plus que de "Bregrets", contraction de "Brexit" et "regrets".

Comment expliquer cette grande désillusion ?

"Take back control", reprendre le contrôle, c’était la grande promesse des Brexiters. Se libérer des normes européennes. Faire du commerce avec qui on veut et comment on veut. Retrouver sa souveraineté, en matière de migration aussi. Avec, à la clé, plus d’emplois, moins de taxes, plus de prospérité. Voilà le tableau alléchant proposé aux Britanniques.

La réalité, trois ans plus tard, c’est un pays qui ne décolle pas. Qui traverse une grave crise économique. Et qui se porte même moins bien que d’autres pays comparables. Ainsi, le Royaume-Uni est la seule économie du G7 à ne pas avoir retrouvé son niveau d’avant Covid.

Les citoyens britanniques ont donc le sentiment d’avoir été roulés dans la farine. Ils réalisent que les promesses étaient, au mieux, des slogans creux, au pire, des mensonges.

 

Le NHS à bout de souffle

On se souvient de ce célèbre autobus rouge de campagne et son message choc qui affirmait que l’UE coûtait chaque semaine 350 millions de livres sterling au Royaume-Uni. Un slogan mensonger qui promettait en outre que, grâce au Brexit, on allait pouvoir réinjecter cet argent dans le NHS, le service de santé britannique.

Le célèbre autobus Leave et son slogan mensonger.
Le célèbre autobus Leave et son slogan mensonger. © AFP or licensors

Aujourd’hui, pourtant, le NHS est à bout de souffle. Sous-financé. Saturé. Avec des millions de patients en attente de traitement. Le Brexit a entraîné l’exode d’infirmières d’origine européenne. Par conséquent, le Royaume-Uni doit se tourner vers d’autres pays pour en trouver.

Et cette pénurie de main-d’œuvre dépasse de loin les soins de santé. Selon une étude récente, le Brexit a engendré une perte de 330.000 travailleurs.

Une immigration en hausse

Pour autant, la promesse des Brexiters de réduire l’immigration en mettant fin à la libre circulation des personnes en vigueur dans l’UE, n’a pas été tenue. L’immigration non liée au travail a augmenté. Le nombre de migrants issus de pays de l’Union a diminué, mais ils ont largement été remplacés des migrants d’autres pays comme l’Inde, les Philippines ou le Nigéria.

Slogans vs. réalité

La réalité est donc bien plus complexe que les slogans simplistes de campagne… comme cette idée du "Global Britain" : le Brexit allait permettre de retrouver la grandeur de l’ancien empire britannique, grâce à de nouveaux accords de libre-échange.

Aujourd’hui, le Premier ministre Rishi Sunak se targue d’avoir signé une série de petits accords commerciaux. Mais LE grand accord commercial tant espéré avec les Etats-Unis, se fait toujours attendre.

Theresa May promet "A Global Britain" en janvier 2017.
Theresa May promet "A Global Britain" en janvier 2017. © AFP or licensors

Autre expression beaucoup entendue pendant la campagne. On allait faire du Royaume-Uni un " Singapour-sur-Tamise ", un paradis fiscal, libéré des réglementations européennes. C’était le rêve de l’ultralibérale et éphémère Première ministre, Liz Truss. On a vu en octobre dernier comment son projet de réduction d’impôts massive a plongé le pays dans le chaos.

La City pâlit mais se maintient

La City de Londres a été sérieusement ébranlée. Près de la moitié des grandes entreprises de services financiers ont transféré leurs activités et leur personnel sur le continent. Mais le cœur financier a tenu bon. Londres occupe toujours la deuxième place dans le classement des centres financiers les plus importants du monde. On a donc limité la casse, mais la City n’a certainement rien gagné avec le Brexit.

Un sujet tabou chez les conservateurs

On pourrait ajouter les interminables palabres autour du protocole nord-irlandais ou les risques de dislocation du Royaume-Uni avec les velléités d’indépendance de l’Ecosse. Le bilan du Brexit n’est vraiment pas glorieux.

Pourtant, aucun Tory n’admettra que cette désunion, voulue par le parti, est un échec. Le sujet reste tabou chez les conservateurs, qui préfèrent mettre en avant les maigres acquis du Brexit : comme le fait d’avoir commencé à vacciner avant tout le monde pendant la crise sanitaire ou d’avoir été les premiers à décréter des sanctions contre la Russie au printemps dernier.

Les mauvais chiffres économiques ? "Pas la faute du Brexit !", clament-ils (une ritournelle tournée en dérision par les marionnettes des principales figures Tories)Et de pointer du doigt la crise sanitaire et la guerre en Ukraine : les deux grands responsables du marasme britannique.

Une justification partiellement confirmée par plusieurs études : la guerre et le coronavirus ont fortement affecté le Royaume-Uni, comme ils l’ont fait avec d’autres pays. Mais ces études montrent également que ces deux crises n’ont fait qu’amplifier et renforcer les dégâts économiques déjà produits par le Brexit.

Les Britanniques, en tout cas, ne sont pas dupes. Dans les sondages, les conservateurs ont 30 points de retard sur les travaillistesSauf miracle, c’est donc un gouvernement travailliste qui devrait sortir des urnes en 2024. Cela dit, il ne faut pas s’attendre à une remise en question du Brexit de la part des travaillistes, qui affirment aujourd’hui vouloir "faire fonctionner le Brexit" ("make Brexit work")… sans pour autant posséder la recette miracle pour y arriver.

 

 

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