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Israël bombarde l’ambassade iranienne à Damas : deux chefs des Gardiens de la révolution tués, l’Iran jure de riposter

Israël bombarde l’ambassade iranienne à Damas : deux chefs des Gardiens de la révolution tués, l’Iran jure de riposter.

© Maher AL MOUNES / AFP

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InfoPar Jean-François Herbecq avec A Debatis

Sept officiers iraniens des Gardes de la révolution, dont deux importants commandants, ont été tués lundi à Damas en Syrie dans une frappe très ciblée et imputée à Israël. Six missiles tirés par des chasseurs F-35 sur la section consulaire de l’ambassade d’Iran dont il ne reste plus qu’un amas de ruines. Le raid sans précédent depuis le début de la guerre civile en 2011 en Syrie sur un bâtiment diplomatique a fait au moins 13 morts.

L’ambassade elle-même semble à peu près intacte, derrière son grillage arborant un immense portrait de Qassem Soleimani, l’ex-chef de la force Qods, le bras armé des Gardiens de la révolution à l’étranger, architecte des opérations militaires iraniennes au Moyen-Orient, tué en janvier 2020 dans une attaque de drone américaine en Irak.

En pleine guerre à Gaza, c’est un événement qui accroît les tensions au Moyen-Orient. L’Iran est furieux, accuse Israël, parle de violations des conventions internationales et surtout promet des représailles contre ce "crime lâche". La frappe intervient en effet dans un contexte très tendu sur fond de guerre à Gaza, ce qui fait craindre une escalade. Le Conseil de sécurité des Nations unies tiendra ce mardi soir une session à la demande de la Russie sur cette attaque.

Des Iraniens brûlent des drapeaux israéliens et américains lors d’une manifestation sur la place de la Palestine à Téhéran
Des Iraniens brûlent des drapeaux israéliens et américains lors d’une manifestation sur la place de la Palestine à Téhéran © AFP

Ce n’est pas la première frappe israélienne en Syrie contre des intérêts iraniens, notamment contre des groupes financés, armés et entraînés par l’Iran.

Ces attaques sont devenues encore plus fréquentes depuis le début de la guerre à Gaza, en réponse aux attaques transfrontalières dans le nord d’Israël menée par le Hezbollah et d’autres groupes soutenus par l’Iran au Liban et en Syrie.

Qui sont les Gardiens de la révolution ?

Les Gardiens de la révolution confirment que le général de brigade Mohammad Reza Zahedi (63 ans) et son adjoint le général Mohammad Hadi Haji Rahimi, font partie des victimes. Ils se trouvaient en Syrie en qualité de conseillers militaires, selon l’Iran.

Le premier est connu comme haut dirigeant du la Force Qods et pour avoir servi comme commandant en Liban et en Syrie entre 2008 et 2016. C’est sans doute un des plus haut gradés iraniens à jamais avoir été tué par une frappe israélienne.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), une ONG basée au Royaume-Uni, fait même état d’un bilan de 14 morts, il y a "huit Iraniens, cinq Syriens et un Libanais, tous des combattants, aucun civil". L’ONG précise que le général Zahedi était le "commandant de la force Qods pour la Syrie, le Liban et la Palestine", un très haut responsable régional donc.

Le Corps des Gardiens de la révolution est l’armée idéologique de la République islamique d’Iran, créée par l’ayatollah Khomeiny. Avec ses 190.000 hommes, c’est une force militaire en concurrence avec l’armée régulière, dotée des meilleurs équipements et du meilleur financement.

Sa mission est de défendre les acquis de la Révolution islamique. Autofinancés, les Gardiens constituent aussi un empire commercial et politique qui contrôle des pans entiers de l’économie iranienne : plus d’un tiers du PIB, dans tous les secteurs, du pétrole aux transports ou aux télécoms. Leur emprise sur la société iranienne passe aussi par une économie noire et le clientélisme.

Les Gardiens de la révolution sont aussi actifs à l’étranger. Depuis la guerre contre l’Irak où ils ont acquis leurs lettres de noblesse, jusqu’aux activités comme des assassinats politiques, des attentats, des prises d’otages dans divers pays et bien sûr le soutien à des milices armées à l’étranger.

Les raids israéliens se multiplient

De nombreux responsables militaires iraniens ont déjà été visés par des frappes israéliennes en Syrie. Le raid de lundi est le cinquième en Syrie en huit jours. Une quarantaine de personnes ont ainsi été tuées dans plusieurs bombardements vendredi dernier. Là, c’était le Hezbollah qui était ciblé.

Fin décembre, le général de brigade Razi Moussavi, un autre important commandant de la Force Qods, a été tué dans un tir de missile au sud de Damas. Depuis le début de la guerre civile en 2011, Israël a mené des centaines de frappes en Syrie contre des positions du pouvoir, des groupes pro iraniens, comme le Hezbollah libanais, et des cibles militaires iraniennes, déchaînant les menaces de représailles iraniennes.

Les frappes se sont intensifiées depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, un allié du Hezbollah et de l’Iran, bien que sunnite. La guerre a été déclenchée par une attaque surprise du Hamas islamiste contre le territoire israélien le 7 octobre. Des frappes israéliennes visent dans le même temps des responsables du Hezbollah au Liban, d’où la formation chiite pro iranienne mène des attaques contre Israël.

Cette nouvelle attaque israélienne pourrait être une façon pour Israël de tester la détermination de l’Iran et de ses alliés. Depuis le conflit à Gaza, les menaces de représailles de l’Iran sont sérieuses mais sont restées verbales et peu suivies dans les faits d’actions de la part des Iraniens, qui laissent leurs alliés, Hezbollah ou Houthis agir à leur place.

Logique d’escalade

Le raid intervient à quelques jours de la Journée de Jérusalem, ce vendredi. Cette journée de mobilisation annuelle décrétée par Téhéran est l’occasion d’une intense mobilisation de ses alliés dans la région.

Cette attaque ravive en tout cas les craintes de voir la guerre à Gaza s’étendre à un conflit régional car les alliés du Hamas, de l’Iran au Liban, en Irak, au Yémen et dans le reste de la région se mobilisent. Pour l’instant, l’Iran soutient le Hamas par ses déclarations et accuse Israël de génocide, mais dément toute intervention dans le conflit. Israël n’a en tout cas pas confirmé sa responsabilité et se borne à déclarer qu’il ne commente pas les rapports de presse étrangers. 

L’Iran annonce "une réponse décisive" à cette attaque et appelle "la communauté internationale" à apporter "une réponse sérieuse" aux frappes israéliennes. "Ce crime ne passera pas sans que l’ennemi soit puni", menace d’ailleurs le Hezbollah libanais invoquant une "vengeance" à venir. Téhéran ne précise pas la nature de sa riposte, mais des "décisions nécessaires" ont été prises dans la nuit au cours d’une réunion d’urgence du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, affirme le président iranien Ebrahim Raïssi.

Lignes rouges allègrement franchies

"Dans le contexte du 7 octobre, on voit une escalade dans le chef des responsables politiques israéliens. Les Gardiens de la révolution sont au centre de toutes les résistances à Israël, soutiens du Hamas, du Hezbollah… Et donc, de manière qui se voudrait dissuasive, les Israéliens visent les Gardiens de la révolution", estime Elena Aoun, professeure et chercheuse en relations internationales à l’Université Catholique de Louvain.

"On a le sentiment qu’on assiste à une escalade franchement unilatérale de la part du gouvernement israélien. Il n’y a rien sur le terrain qui justifierait une telle attaque qui contrevient et viole le droit international puisqu’il s’agit quand même d’un bâtiment consulaire", ajoute Elena Aoun.

"Ici on a une attaque frontale qui cible des locaux qui sont a priori couverts par le droit international. Mais il faut imaginer que les gardiens de la Révolution sont la moelle épinière militaire du régime iranien depuis son son accession au pouvoir au lendemain de la révolution de 1979. Et cette force est le fer de lance des intérêts iraniens dans la région. Il faut dire qu’au lendemain des aventures militaires américaines, l’Irak leur a été ouvert. La Syrie leur a été ouverte après le printemps arabe syrien qui a viré à la guerre civile. Et donc ces Gardiens de la révolution, au travers de leur implication auprès des milices locales, portent les intérêts iraniens", complète la chercheuse.

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Selon Bassam Abou Abdallah, analyste syrien proche du gouvernement qui dirige le Centre pour la recherche stratégique et interrogé par l’AFP, "l’attaque contre le consulat iranien à Damas a transgressé beaucoup de lignes rouges. Il y a des règles d’engagement, mais désormais c’est une guerre ouverte entre Israël et l’axe de la résistance".

Représailles en vue ?

"Il est probable que l’Iran fera payer Israël, mais de manière indirecte et par l’intermédiaire de ses partenaires et supplétifs dans la région", estime Ali Vaez, spécialiste de l’Iran cité par AFP. Le dilemme de Téhéran est que "l’absence de réponse pourrait constituer un signal de faiblesse pour Israël. Mais les représailles risquent d’entraîner une action plus sévère de la part des Etats-Unis ou d’Israël".

Pour des analystes, la frappe sur Damas pourrait être une tentative du Premier ministre Benjamin Netanyahu de provoquer un conflit à l’échelle régionale : "Sous la pression des Américains, Netanyahu est à court de temps pour poursuivre la guerre à Gaza et se tourne vers le Liban et la Syrie", dit Nick Heras du New Lines Institute for Strategy and Policy. Israël considère que "les Iraniens dirigent depuis Damas les fronts" à Gaza et au Liban et Benjamin Netanyahu "s’attend à une prochaine guerre régionale avec l’Iran" dans laquelle il "espère être rejoint par les Etats-Unis".

Une extension du conflit pour détourner l’attention de Gaza ?

Pour Elena Aoun, "à chaque nouvelle escalade de la part d’Israël, il est à craindre que ses ennemis soient poussés un peu plus dans leurs retranchements. Force est de constater qu’ils ont fait preuve d’une large retenue jusqu’à présent."

"Alors, ça pourrait faire sourire, mais on voit une sorte de self contrôle de la part de ces acteurs qui savent qu’ils ont beaucoup à perdre dans une escalade avec Israël actuellement. Ils savent très bien qu’Israël est en train de leur tendre un piège. Israël n’attend que l’escalade quelque part qui, de manière évidente, viendrait desserrer quelque part l’étau par rapport à son opération à Gaza."

"Mais cela ne m’étonnerait pas qu’il y ait encore une fois une forme de retenue dans les réponses qui serait donnée. Mais ça devient de plus en plus difficile pour ces acteurs-là de ne pas perdre toute crédibilité en faisant preuve de ce qu’on pourrait appeler de la modération."

Elena Aoun: Israël tend un piège à ses ennemis

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Il sera donc difficile de prédire quelle forme prendra la réponse iranienne. Des drones, comme celui qui est tombé lundi à Eilat, lancé par les rebelles Houthis et qui a endommagé un bâtiment de la ville israélienne sur la mer Rouge ? D’autres actions des alliés de l’Iran ? Une cyberattaque ?

Les condamnations pleuvent

Les condamnations sont nombreuses : Chine, Syrie, Irak, Hamas… La diplomatie russe qualifie l’attaque d'"inacceptable", accusant l’armée israélienne d’en être responsable et met en garde contre les "conséquences extrêmement dangereuses" pour la région.

Le ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian a envoyé via le chargé d’affaires de la Suisse, qui représente les intérêts des Etats-Unis en Iran où ils ne disposent pas d’ambassade, "un message important au gouvernement américain, puisqu’il soutient l’entité sioniste. L’Amérique doit prendre ses responsabilités".

Le Conseil de sécurité des Nations unies tient ce mardi à 21 heures (heure belge) une session publique à la demande de la Russie sur cette attaque. Elle relaye une demande iranienne qui a pour but de condamner cette action.

Syrie : un raid israélien sur Damas fait onze morts

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