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Les QCM à points négatifs désavantagent-ils les étudiantes ?

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Les étudiant·es du supérieur viennent tout juste de sortir de leur session d’examen, l’occasion de se pencher sur la question des biais de genre dans les évaluations : une question qui s’est déjà posée, notamment pour l’examen d’entrée en médecine en Belgique dont l’examen de physique est mieux réussi par les garçons. Même interrogation concernant l’examen oral, qui jouerait en défaveur des filles.

Ce 21 janvier, le prix Maystadt a été remis à Alice Brogniaux de l'ULB pour son mémoire intitulé "Biais de genre dans l’évaluation de l’apprentissage : questions à choix multiples notées avec des points négatifs", encadrée par les professeur·es Philippe Emplit et Catherine Dehon. Ce prix récompense les étudiant·es et les doctorant·es de la Fédération Wallonie-Bruxelles ayant produit une étude ou une recherche innovante sur l’enseignement ou l’éducation.

"On voulait découvrir s’il y avait une différence d’abstention entre les étudiants et les étudiantes lorsqu’ils sont évalués avec des questions à choix multiples (QCM) avec des points négatifs", explique Alice Brogniaux aux Grenades. "Le sujet m’a parlé parce qu’il y avait un aspect statistique d’analyse des données et parce que le questionnement qu’il porte est d’une grande actualité".

Pour vérifier ses hypothèses, Alice Brogniaux a construit un modèle économétrique et y a entré les résultats des examens d’étudiant·es en bac 1 à la faculté de Solvay, obtenus grâce au professeur de mathématique Davy Pandaveine.

Il faut rester prudent dans l’utilisation de ces QCM à points négatifs car ils peuvent désavantager les filles

Quand les femmes s’abstiennent

"Un biais de genre se produit dans certains cas, en défaveur des étudiantes. Quand il se produit, les étudiantes s’abstiennent plus que les étudiants. Nous avons souhaité quantifier ce phénomène pour mieux le comprendre : quel pourcentage de point les filles perdent-elles lorsqu’elles s’abstiennent ? Dans notre étude de la session d’examen de janvier, nous avons découvert que les étudiantes avaient perdu 3 % de la note finale. C’est important car ce pourcentage peut faire basculer une note de la réussite à l’échec", souligne Alice Brogniaux. "Mon mémoire ne portait pas sur les raisons de cette abstention, il s’agissait vraiment de montrer le phénomène avec des données empiriques. Cependant, dans la littérature scientifique, j’ai pu lire que les filles se dévalorisent plus que les garçons, ce qui pourrait mener à des comportements d’abstention", poursuit-elle.

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Selon elle, l’utilisation de QCM met à mal le principe fondamental d'équité lors de l'évaluation des apprentissages. "Il faut rester prudent dans l’utilisation de ces QCM à points négatifs car ils peuvent désavantager les filles. Il est possible de les éviter ou de réduire la proportion des QCM dans le total d’un examen", précise-t-elle. "Nous avons aussi découvert que le biais de genre diminuait avec l’expérience : d’une session d’examen à l’autre, il se réduisait. On pourrait donc prévoir des tests préparatoires pour habituer les étudiant·es à cette méthode d’évaluation."

"Une longue histoire"

Quand on lui demande d’où lui est venue cette idée de recherche, la réponse fuse : "J’ai été contactée à ce sujet par Madame Dehon !" Catherine Dehon est statisticienne et professeure à la Faculté de Solvay. "C’est une longue histoire", nous explique-t-elle. "Je partage un cours avec un autre professeur, un scientifique brillant, Davy Paindaveine. Et nous nous bataillions sur ces QCM à points négatifs : lui les utilisait, moi pas. Nous lui avons donc proposé de vérifier empiriquement s’il y existait un biais de genre. Comme il est scientifique, il a accepté et nous a donné les résultats de ses étudiant·es pour cette recherche."

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"Ce biais de genre est dommageable car l’objectif d’un examen est de vérifier si la compétence est acquise, et non si un·e étudiant·e résiste bien au stress ou à la prise de risque. Cela devrait également être pris en compte lors des concours par exemple où ce ont les premiers qui sont pris, ce qui est encore différent qu’un examen", continue la professeure. "Créer ce modèle d’analyse a été intéressant. Aujourd’hui, il existe et peut être réutilisé pour aller plus loin, par exemple croiser d’autres données que le genre. Cela peut être utile pour la société." Alice Brogniaux reprend : "Avant de pouvoir généraliser sur les QCM à points négatifs, il faudrait continuer les analyses, il faudrait appliquer la même recherche à d’autres étudiant·es, dans d’autres matières."

Cette recherche a cependant déjà eu un effet très concret : "Aujourd’hui, le professeur Pandaveine n’utilise plus de QCM à points négatifs", sourient toutes deux Alice Brogniaux et Catherine Dehon. Pour faire connaître les résultats de la recherche et la méthode utilisée, un article scientifique pourrait être prochainement écrit par Alice Brogniaux. "Je suis employée de banque mais cela me plairait beaucoup de travailler dans la recherche ou l’enseignement", conclut-elle. A bon entendeuse !

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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