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Au moins 13 féminicides en Belgique en 2021 : "Il faut sortir du déni"

Au moins 13 féminicides en Belgique en 2021 : "Il faut sortir du déni"

© MARTIN BUREAU - AFP

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Par Camille Wernaers

Le numéro gratuit pour les victimes de violences conjugales est le 0800 30 030. 

Ce 26 avril, un 13ème féminicide a eu lieu en Belgique. Vinciane M. a été retrouvée sans vie à son domicile. Elle habitait Soumagne et avait deux enfants. Son ex-compagnon est suspecté de l’avoir tuée. 

Ces dernières semaines, les infanticides et les féminicides, c’est-à-dire les meurtres de femmes en raison de leur genre, s’enchainent à une vitesse alarmante, un constat partagé par la secrétaire d’Etat à l’Egalité des Genres, Sarah Schlitz (Ecolo), qui fait le lien avec la crise sanitaire.Le contexte de la pandémie n'y est pas étranger, plusieurs études ayant montré que les mesures de lutte contre le Covid-19, telles que le confinement, la fermeture des écoles ou le couvre-feu, ont fortement aggravé la violence au sein des foyers”, explique-t-elle.

Il y a une intensification de toutes les violences faites aux femmes

Bénédicte Linard (Ecolo), ministre des Droits des Femmes en Fédération Wallonie-Bruxelles, s'est également exprimée à ce sujet : "[Les] auteurs, des hommes, qui pensaient que la vie de leur compagne ou de leur ex-compagne leur appartenait. Depuis le début de la crise du Covid-19, les violences envers les femmes et les enfants sont en augmentation." Dans le monde entier d’ailleurs, les violences faites aux femmes ont augmenté durant la crise sanitaire.


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Des violences qui s'intensifient

En Belgique, le blog Stop Féminicide est tenu par des associations de terrain et recense les cas de féminicides sur base des articles de presse, car il n’existe toujours pas de statistiques officielles. Il se peut donc que certains cas, pas ou moins médiatisés, ne soient jamais comptabilisés.  

Comme nous n’avons pas de chiffres officiels, on ne sait pas dire vraiment si les confinements jouent un rôle d’accélérateur des féminicides, précise Céline Caudron, coordinatrice au sein de l’asbl Vie Féminine et qui travaille sur le blog Stop Féminicide. Ce que l’on sait par contre, c’est qu’il y a une intensification de toutes les violences faites aux femmes. A l’intérieur des foyers, avec les confinements, il y a une plus de violences intrafamiliales. De la violence conjugale mais aussi des pressions exercées par la famille sur les jeunes filles. En ligne également, il y a eu une augmentation des violences virtuelles dès le début du confinement. A l’extérieur, dans l’espace public, les femmes ont continué à être harcelées par des hommes et n’ont pas pu chercher de l’aide auprès des passants et passantes”. 

Selon l’experte, les femmes ont trouvé moins d’échappatoire aux violences masculines. “Avant, elles pouvaient se rendre chez une amie ou assister à des cours par exemple, ces sorties pouvaient les protéger. Avec les confinements et le couvre-feu, les agresseurs ont eu plus de possibilités d’intensifier leurs violences”, analyse Céline Caudron. 

Les enfants sont aussi concerné·es

Les associations de terrain ont également compté 6 enfants tué·es dans un contexte de violences conjugales rien que cette année. Dans ces cas-là, les pères tuent les enfants pour faire du mal aux mères. On le sait parce qu’ils laissent des sms ou des textes qui le disent. Pour les atteindre, ils leur prennent ce qu’elles ont de plus précieux dans leur vie, leurs enfants. C’est pour ça qu’il est important pour nous que les enfants témoins de violences conjugales soient considéré·es comme des victimes, au même titre que leur maman. Car ces enfants risquent aussi leur vie. Il faudrait donc les intégrer aux campagnes de sensibilisation sur les violences conjugales et que cela soit pris en compte par les services d’aide à la jeunesse et les tribunaux”, souligne Céline Caudron.  

Il y aussi la question des enfants qui survivent aux meurtres de leur maman, souvent très jeunes. Cela pose d’autres problèmes puisque les féminicides ne sont pas considérés comme tels par la justice. Il y a des enfants placé·es dans la famille du père, qui continuent à devoir avoir des relations avec lui. Les enfants survivant·es doivent se reconstruire, ce n’est pas forcément bien pour eux d’avoir ces contacts-là, en tout cas, cela devrait être leur décision et pas quelque chose d’imposé par la justice ou l’Etat qui estimeraient qu’il faut absolument maintenir le contact avec le père violent”, continue-t-elle. 

La violence des hommes

Si on s’intéresse au fond du problème des féminicides, on découvre que ce sont des hommes violents qui ne supportent pas de perdre le contrôle sur leur conjointe. La séparation est d’ailleurs un moment particulièrement à risque pour les femmes, observe Josiane Coruzzi, directrice du refuge Solidarité Femmes à La Louvière. Il faut que l’on sorte du déni et qu’on accepte de voir qu’il y a systématiquement des violences conjugales qui précèdent les féminicides, ces actes s’inscrivent dans un contexte de domination. Le dominant ne supporte pas de perdre l’objet de sa domination. Ce n’est pas “je ne supporte pas de vivre sans toi”, c’est plutôt : “je ne supporte pas que tu vives sans moi”. On parle de contrôle coercitif, qui fait partie des violences conjugales. Pourtant, il y a encore cette image qui entoure le féminicide, qui serait le fruit d’une pulsion incontrôlée, d’un crime passionnel. C’est complètement faux. Et ce déni des violences conjugales, qui est lié à la société patriarcale, pèse encore lourd dans notre société.


►►► A lire aussi : Josiane Coruzzi : "Avant chaque féminicide, il y a des violences conjugales" 


Les féminicides sont donc liés au contexte plus général des violences masculines faites aux femmes. D’après Josiane Coruzzi, ces mêmes mécanismes de violences sont à l’œuvre dans chaque féminicide. “Cela veut dire qu’on peut donner des outils à la police, aux magistrats, à la justice, pour comprendre que les situations de violences sont dangereuses. Il faut le dire : une femme qui dépose une seule plainte pour violences conjugales est déjà en danger. Or, dans certains cas de féminicides, on se rend compte qu’elles ont parfois déposé plusieurs fois plainte ! Ce n’est pas normal.” Elle distingue aussi clairement la dispute de couple des violences conjugales. “C’est normal de se disputer, et quand on se dispute, on se dispute à deux. Cela montre justement qu’on ose se dire ce qui ne va pas. Les femmes victimes de violences n’osent au contraire pas parler, de peur de subir encore plus de violences de la part du conjoint dominant. Ce sont des hommes qui font régner la terreur, notamment par la menace. Ils peuvent dire clairement : “si tu pars, je te tue ou je tue les enfants. Cela fait partie du système de contrainte, toutes les victimes sont menacées”.

Céline Caudron, quant à elle, a identifié trois pistes de solutions : “Il faut s’adresser aux hommes qui sont les auteurs. Les féminicides sont les conséquences des violences faites aux femmes, il faut donc inclure les responsables dans les campagnes de sensibilisation. Ces violences sont largement intégrées, il est difficile de les identifier comme telles, il faut sensibiliser à ces questions. Il y a aussi la question des témoins, il faut savoir que ces violences ne sont pas privées, si vous entendez votre voisine crier, vous pouvez aussi intervenir. Votre intervention est légitime. Sans se culpabiliser non plus si on n’a pas constaté les violences, il y a différents types de violences faites aux femmes comme les violences psychologiques ou économiques qui sont parfois plus compliquées à détecter.

Il faut s’adresser aux hommes qui sont les auteurs

"Enfin, je pense qu’il faut se renforcer entre femmes, conscientes que nous vivons cette domination masculine et que chacune d’entre nous met en place des stratégies contre les violences, qui vont du harcèlement de rue jusqu’au féminicide. C’est précieux d’échanger sur nos stratégies, de nous rendre compte de notre force dans ce système violent. Mais évidemment, il n’y a pas de solution miracle. Il n’y a pas une seule solution.”


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Et de conclure : “Nous, ce qu’on constate, c’est que les féminicides sont la pointe de l’iceberg des violences faites aux femmes. Toutes les femmes violentées ne sont pas assassinées, toutes ne subissent pas des violences physiques. Ces violences sont multiples, elles peuvent être sexuelles, économiques, psychologiques. Ces violences ne se voient pas, ne laissent pas de trace. On ne veut pas oublier les femmes qui vivent en ce moment, à cette minute, avec un agresseur.”  

Par ailleurs, la lutte contre les féminicides était citée lors de l'adoption du Plan intrafrancophone contre les violences faites aux femmes. "La violence faite aux femmes n’a ni frontière, ni exclusive. Ce Plan a été élaboré entre les entités francophones avec la ferme intention de garantir la cohésion des actions des différents niveaux de pouvoirs. Nous voulons renforcer de manière très concrète le soutien aux femmes ainsi qu’aux professionnels qui luttent contre ces violences. Ceci passe notamment par l’augmentation des budgets structurels dédiés aux associations, par la création d’un pôle de formations spécialisé dans la lutte contre les violences à destination des professionnels ou par l’augmentation de la capacité d’accueil et d’hébergement pour les femmes victimes de violences et leurs enfants", expliquait Christie Morreale (PS), Vice-Présidente du Gouvernement wallon et ministre des Droits des Femmes.

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