"Un foyer terroriste majeur à un jet de pierre de la Méditerranée": entretien avec le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avant sa venue dans le Var ce lundi

Sébastien Lecornu, ministre des Armées, sera dans le Var lundi. Il rappelle que la menace terroriste aux portes de l’Europe n’a pas disparu.

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P.-L. P. Publié le 13/08/2023 à 07:00, mis à jour le 13/08/2023 à 07:00
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Sébastien Lecornu est ministre des Armées depuis le 20 mai 2022. Photo AFP

À la veille de sa venue dans le Var, Sébastien Lecornu, ministre des Armées depuis près de quinze mois, nous a accordé une interview. Commémorations du Débarquement de Provence, situation au Niger, loi de programmation militaire et ses conséquences pour le Var…: le ministre n’a éludé aucune question d’actualité.

Votre présence au Rayol-Canadel pour le 79e anniversaire du Débarquement de Provence marquera le coup d’envoi du 80e. Pouvez-vous nous dire à quoi ressembleront ces commémorations dans un an?

Petit-fils de Résistant et élu normand, j’ai une sensibilité toute particulière pour les commémorations. Nous commençons, avec Patricia Mirallès, secrétaire d’État en charge des Anciens combattants, à en préparer le programme. Le président de la République suit ces préparations et s’y implique personnellement. Nous veillerons à couvrir l’intégralité des événements de la Libération, avec la part de mémoire qui revient pour toutes les personnes tombées ou blessées au combat pour préserver notre liberté. Le Débarquement de Provence est un moment très important. En me rendant lundi à la nécropole du Rayol-Canadel, entretenue par le ministère des Armées avec la mairie, je souhaite lancer le cycle des cérémonies de commémorations qui vont se décliner l’année prochaine. Ce 80e anniversaire marque un tournant. La disparition de vétérans qui ont connu cette période – avec les obsèques récentes de Pierre Velsch et d’Henri Fabre – nous oblige à faire cette passation de mémoire. C’est pourquoi il sera marqué par la mobilisation des scolaires et de la jeunesse.

Par le passé, plusieurs revues navales ont été organisées le 15 août. L’occasion d’inviter les vétérans africains s’étant battus pour la libération de la France et les chefs d’État des anciennes colonies françaises. Est-ce encore envisageable alors que la France est indésirable au Mali, au Burkina Faso, au Niger?

L’adjectif "indésirable" est très discutable! Il ne faut pas se laisser instrumentaliser par le narratif déployé par nos compétiteurs sur les réseaux sociaux ou par quelques manifestations organisées ici ou là devant les ambassades françaises. Le sujet mémoriel transcende tout cela. C’est pour cette raison que notre ancien ambassadeur de France à Washington, Philippe Étienne, a été nommé à la tête du groupement qui organisera tout le cycle commémoratif pour l’année prochaine. Il y a un enjeu de mobilisation internationale avec les différents partenaires. Ces commémorations seront également un temps de rassemblement, non seulement avec les chefs d’État, mais aussi avec les différentes communautés d’anciens combattants. Les récents conflits ont réuni sous la même bannière, notamment dans la lutte contre le terrorisme, les armées françaises et de nombreuses armées africaines. Ces commémorations seront un moment de retrouvailles internationales et personne ne pourra gâcher cela.

Revenons sur l’intervention militaire française au Sahel: sans remettre en question les succès militaires contre les groupes djihadistes, force est de constater que la France perd chaque jour de son influence en Afrique. Quel est votre sentiment à ce sujet?

Vous avez raison de rappeler le succès militaire de notre armée. Sur la perte d’influence, je ne partage pas ce constat. La réalité est que la France est particulièrement influente en Afrique. Et elle est très exposée justement parce qu’elle est influente. Et parce qu’elle est très exposée, elle fait l’objet de manœuvres de déstabilisation. Il ne faut pas s’y tromper. Lorsque la junte a fait un coup d’État au Mali, elle a cessé de lutter contre le terrorisme. Aujourd’hui, 40% du territoire malien est livré à des groupes armés terroristes qui menacent de reconstituer une forme de califat. La situation est fragile aussi au Burkina Faso. Le sujet n’est donc pas uniquement un sujet d’influence, mais bien de sécurité collective. On ne peut pas ne pas voir qu’un foyer terroriste majeur est à nouveau à un jet de pierre des rives de la Méditerranée. J’invite donc au sang-froid. N’oublions pas que les vraies victimes de ce qui se passe aujourd’hui sont, avant tout, les populations des États africains concernés.

Redoutez-vous une intervention armée de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest au Niger?

Non. Nous soutenons les actions de la Cédéao, dont l’objectif final recherché est le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Niger et le retour du Président Bazoum. La France affirme donc son plein soutien à l’ensemble des conclusions du sommet de la Cédéao qui a eu lieu jeudi.

Dans ce contexte, la situation des forces françaises à Niamey ne doit pas être très confortable…

Nos militaires sont habitués aux situations compliquées. Ils savent ce qu’ils font au Sahel et quel est le sens de la mission. Il est important de le rappeler: nous sommes présents au Niger car nous sommes engagés dans la lutte contre le terrorisme, à la demande des autorités légitimes nigériennes: c’est le cœur de la mission! La guerre en Ukraine rend myope une partie des observateurs occidentaux: on ne parle plus du tout de lutte contre le terrorisme dans notre débat public. Y compris au Parlement lors des discussions de notre loi de programmation militaire (LPM).

De l’Afrique à l’Europe de l’Est, il n’y a qu’un pas. La France continue-t-elle à livrer des armes à l’Ukraine?

La France continue évidemment d’apporter son soutien à l’Ukraine. Sur différents segments, tout particulièrement sur la composante terrestre, qui permet actuellement à l’Ukraine de mener sa contre-offensive. C’est vrai évidemment en matière d’artillerie, avec les canons Caesar. C’est vrai également en matière de blindés légers, avec les AMX-10 RC et les VAB. Mais c’est aussi vrai en matière de munitions, parce que cette contre-offensive en consomme des quantités importantes. Pour donner un exemple: chaque mois, nous livrons aux Ukrainiens une dotation d’obus de 155 mm. Nous sommes également très présents sur la dimension sol-air qui permet à la fois de protéger les infrastructures civiles – car les Russes ont repris les frappes en profondeur – et le champ de bataille, avec la livraison d’une batterie franco-italienne SAMP/T, ou encore avec notre livraison de [missiles] Mistral et Crotale. Enfin, nous formons toujours des soldats ukrainiens. La contre-offensive ukrainienne nécessite en effet une nouvelle génération de soldats, qui ont besoin d’être formés. Dès le mois d’août, nous avons atteint l’objectif que nous nous étions fixé pour l’année avec la formation de 6.000 soldats ukrainiens, répartis entre la France et la Pologne.

Un mot sur la décision de la Roumanie de renoncer à acheter quatre corvettes Gowind, un contrat à 1,2 milliard d’euros?

La Roumanie ne renonce pas à acheter français: elle renonce à acheter tout court. Alors que la Roumanie aurait pu faire le choix de l’industrie des Pays-Bas sur ces équipements, le ministère roumain de la Défense a décidé de suspendre complètement le marché. Mais d’autres discussions sont en cours avec la Roumanie sur d’autres segments, que ce soit naval ou terrestre.

Début août, plusieurs revues scientifiques ont appelé les "États dotés" à détruire leurs arsenaux nucléaires. Une réaction?

J’y vois une démarche pacifiste et un vœu formulé. La réalité et l’histoire nous poussent toutefois à voir que la dissuasion nucléaire nous a protégés et protège toujours nos intérêts vitaux. C’est une réalité. Et parce que nous sommes "une puissance dotée", les menaces directes qui pèsent sur la France sont prioritairement d’une autre nature: terrorisme, attaques hybrides, chantage énergétique, chantage aux matières premières agricoles, et bien entendu les attaques cyber… Je reste un militant du gaullisme militaire, et donc je suis un défenseur de la dissuasion nucléaire. Je l’ai d’ailleurs noté pendant les débats sur la loi de programmation militaire: les formations politiques qui remettent en cause la dissuasion finissent par nous donner acte de son utilité. Nous devons donc continuer à la défendre. Pour les lecteurs de Var-matin et Nice-Matin, je souligne que la FANu, force aéronavale nucléaire mise en œuvre à partir du porte-avions Charles-de-Gaulle, contribue à cette dissuasion.

Vous avez défendu la loi de programmation militaire devant l’Assemblée nationale, puis le Sénat. Sur ces 413 milliards d’euros, combien profiteront au Var, département le plus militarisé de France?

Toutes les modernisations de la Marine ou de l’armée de Terre vont évidemment bénéficier à l’ensemble des unités du Var. Les unités de l’armée de Terre du département vont voir les livraisons de nouveaux canons Caesar, de véhicules blindés Griffon et Jaguar, ainsi que la rénovation à mi-vie du char Leclerc. La base navale de Toulon, quant à elle, connaîtra de nombreuses évolutions avec le remplacement des sous-marins nucléaires d’attaque – l’un des gros éléments de la LPM -, les arrivées d’une première frégate de défense et d’intervention, de patrouilleurs, des bâtiments de guerre des mines… En résumé, sur le volet capacitaire, il n’y a pas une unité militaire dans le Var qui ne connaîtra pas de modernisation. Enfin, sur le volet des infrastructures, sur les cinq prochaines années, 2,6 milliards d’euros vont être investis dans le département, que ce soit pour financer les petites rénovations des régiments de l’armée de Terre, ou les plus lourds travaux de la base navale toulonnaise. Sans oublier des logements neufs ou rénovés pour nos militaires.

Pouvez-vous nous confirmer la construction d’un nouveau bassin à Toulon pour l’entretien du porte-avions de nouvelle génération (PANg)?

J’aurai l’occasion d’y revenir avec une communication spécifique à la fin du mois, à l’occasion de la prise de commandement du nouveau chef d’état-major de la Marine, à laquelle je me rendrai à Toulon fin août.

Au mois de juillet, le Sénat a obtenu une accélération de la trajectoire budgétaire. La France en a-t-elle les moyens? Vous préparez-vous à des arbitrages difficiles avec vos collègues d’autres ministères?

Les sénateurs ont surtout souscrit à l’objectif fixé par le président de la République. Sous son impulsion, à travers les deux lois de programmation votées en 2018 puis 2023, le budget des armées aura plus que doublé. Les sénateurs ont aussi constaté la solidité de nos engagements: depuis 2017, la trajectoire budgétaire des armées a été respectée à l’euro près. Par le passé, certains ont pu faire de l’affichage… Ce n’est pas le cas du gouvernement actuel. Nous tenons parole. Cette LPM, avec la somme historique de 413 milliards d’euros, est sanctuarisée. Ce qui veut dire que l’ensemble des équilibres budgétaires du pays ont été bâtis avec cette copie. Le réarmement et la modernisation de nos armées resteront comme un des grands éléments du bilan des deux quinquennats d’Emmanuel Macron.

Bio express

11 juin 1986: naissance à Eaubonne, dans le Val-d’Oise.

2002: à 16 ans, il entre à l’UMP.

21 juin 2017: il entre au gouvernement d’Édouard Philippe en tant que secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire.

6 juillet 2020: il est nommé ministre des Outre-mer à la place d’Annick Girardin.

20 mai 2022: il est nommé ministre des Armées en remplacement de Florence Parly.

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Var-Matin

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